L’inspecteur Jacques Clouseau rentre dans une pièce et un inventaire s’impose : un vase sur une table branlante, une valise au sol, un placard rempli de cintres et un porte-manteaux nu. Comment l’homme à moustache va-t-il réussir à ne pas tout détruire ? Peut-être qu’il évitera cette table et ce vase qui ne demandent qu’à tomber, mais cette valise par terre, comment pourrait-il ne pas se prendre les pieds dedans ? Dans les six films de Blake Edwards mettant en scène Peter Sellers dans le rôle de Jacques Clouseau, dès que l’inspecteur entre dans le cadre, le temps s’arrête et même les objets qui l’entourent semblent retenir leur souffle. Cet homme, cet arracheur de poignet de porte, ce pourfendeur de tapis de billard est leur tortionnaire, celui qui veut leur perte. A grand coups de masse quand, voulant tuer une mouche, il vient à bout d’un piano Steinway dans Quand la panthère s’emmêle (1976), pourquoi s’en faire ? – Vous avez détérioré ce piano. – Quel est le prix d’un petit piano comparé au terrible crime qui a été perpétré ici ? (…) avec deux coups de marteau et trois clous, on répare le bastringue. La terre tourne autour de Peter Sellers et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est quelque peu désaxée.
Une pierre précieuse appelée la panthère rose est sur le point d’être volée et Jacques Clouseau est mis sur le coup. Par malchance, ledit inspecteur attire les catastrophes et on pourrait voler la chaise sur laquelle il est assit sans en être le moins du monde inquiété. La série de films qui découlera de la première collaboration entre Peter Sellers et Blake Edwards a tout de l’accident. Première apparition du personnage de Jacques Clouseau, La Panthère rose (1963) ne s’intéresse pas seulement au personnage joué par Peter Sellers. Le soin apporté à l’intrigue policière et aux seconds rôles – le Fantôme joué par David Niven, la princesse Dala jouée par Claudia Cardinale – , ne donne que quelques scènes à l’inspecteur. Pourtant, malgré le peu de minutes à l’écran de Peter Sellers, durant chacune de ses scènes, le temps semble vouloir s’étirer indéfiniment. L’acteur soigne autant ses entrées que ses sorties et entre elles, tout peut arriver. L’inspecteur tombe dans les penderies, se bat avec son peignoir et les bouchons de champagne, mais surtout, ne veut pas sortir du cadre. Les gags passent essentiellement par le corps de l’acteur et même lorsqu’ils arrivent hors-champ – le bruit d’un objet se fracassant sur le sol – c’est la démarche gauche et les yeux ahuris de l’inspecteur qu’ils rappellent. A la manière du rouleau de papier hygiénique de The Party (1968) se déroulant pendant de longues secondes à ses pieds, tant que Peter Sellers est au centre de la scène, elle n’existe qu’à travers lui. En quelques minutes, Blake Edwards et Peter Sellers ont crée un monstre qui dévore le film de l’intérieur et qui sera au centre de chacun des épisodes de la série. S’il est le responsable des meilleurs moments de ces films, il mettra également en évidence leurs limites.
Quand la panthère s’emmêle
Si notre préférence va aux premiers épisodes, la série prise dans son ensemble laisse pourtant un fort souvenir euphorique. Celui d’un maladroit voulant tellement bien faire, faisant tant d’effort pour durer dans le cadre que forcement tout s’écroule autour de lui. Peter Sellers a donné à l’inspecteur Clouseau une prestance, un accent et même un sex-appeal so frenchy. En mettant autant de cœur à lui faire interroger un suspect qu’à lui faire remonter ses courses ou détruire son appartement, il lui a également donné l’âme d’un enfant n’ayant pas vraiment le sens des priorités. On peut aisément imaginer les mots de Blake Edwards derrière la caméra avant chaque prise: Silence, on joue !