Certains attendaient le dernier Chéreau avec une impatience non feinte, sans doute sûrs d’y frémir, d’y pleurer car, à chaque fois, et ce depuis L’homme blessé, les chairs et les âmes y sont à vif. Ça tombe bien : dans le dernier, Persécution le bien nommé, on retrouve justement Jean-Hugues Anglade, que Patrice Chéreau avait contribué à rendre célèbre. Ici, les années sont passées sur le corps, le meurtrissant sans l’enlaidir, sans lui ôter une certaine grâce entre amour et abjection. Et, un peu sadiquement, on dirait bien que Patrice Chéreau s’amuse à le filmer en écho à ce qu’il vivait dans L’homme blessé, car c’est lui qui aime encore un autre homme sans espoir de retour, et ce miroir que le metteur en scène lui tend n’est autre qu’un jeune acteur au talent confirmé, surjouant un peu toutefois un homme blessé à son tour.
Comme en écho à De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard, Romain Duris réussit à camper ici un personnage encore une fois torturé et déchiré, partagé entre son passé douloureux et la jeune femme qu’il aime, malheureusement interprétée par une Charlotte Gainsbourg semblant se croire encore chez Lars Von Trier. Sans doute parce que Patrice Chéreau – dont le talent de metteur en scène n’est cependant pas à mettre en doute – n’est pas Dostoïevski, on ne peut pas dire que l’on soit particulièrement ému ou bouleversé par cette histoire triangulaire de corps et d’âmes torturés, le cinéaste se perdant un peu dans une hystérie dont il est en effet assez coutumier, il faut bien le dire. En outre, Paris est encore un peu trop présent. Un Paris de cafés branchés et de réfection de loft pour petits bourgeois bohèmes n’ayant finalement que leur petit nombril à contempler et leur dégaine grunge à exhiber.
L’axiome de base est pourtant simple, et Chéreau, à défaut de connaître la chanson, connaît la tragédie. Un homme aime une femme qui ne sait pas si elle l’aime et est aimé par un homme qu’il n’aime pas. Maladroitement, ces situations se juxtaposent mais ne sont guère viables même si, par moments, on pourrait se laisser prendre par certaines images, certains regards. Mais cela ne va pas assez loin. Trop de bavardages, peu d’émotion, le tout dans un éclairage glauque rappelant un peu l’ambiance sordide d’Intimité, sans le côté follement snob de Gabrielle. Avec ce dixième film, Patrice Chéreau prouve sa virtuosité, son goût du dialogue et du théâtre filmé, mais ne parvient hélas pas à retrouver la grâce de sa Reine Margot, film empreint lui d’une réelle puissance tragique.
En définitive, sur le plan des sentiments, de la persécution que fait naître dans nos cœurs le sentiment amoureux, on ne peut pas dire que ce dernier film soit très convaincant. Dommage, il s’en est fallu de peu. Peut-être les films en costumes lui siéent-ils mieux, finalement ? Et pour une fois, je serais assez d’accord avec le critique du Canard enchaîné lorsqu’il constate : « Des personnages qui souffrent sans remède, des dialogues passionnels qui s’emballent, un héros hystérique qui tient à distance le spectateur : dans ce film sur un type compliqué, Patrice Chéreau cherche à montrer que tout amour implique une forme de persécution. » Oui, mais cela suffit-il à faire un bon film ?