Ressortie en version restaurée du film de Vittorio Gassman, qui fait vivre sous nos yeux le mâle italien, du vieux garçon coincé à sa mamma, à l´italo-macho dans toute sa splendeur, en huit sketches cruels et irrésistibles !
Plus que toute autre, la comédie italienne est véritablement mordante et cruelle. Les gondoles, le pont de soupirs, les « sea perque ti amo », elle explose sous nos yeux les idées reçues et les clichés compassés au profit d’un seul : le macho italiano ne prend pas de gants et passe directement à l’action. Dans le scénario de Parlons Femmes (Se permettete, parliamo di donne en VO), associé à Ruggero Maccari, Ettore Scola n’épargne personne : les hommes et les femmes, la bourgeoisie et les classes populaires, les séducteurs et les coincés, les croqueuses d’hommes et les vertueuses… Tous passent à la moulinette du sexe et du sentiment. Mais le regard est tendre et humain, comme toujours dans la comedia all’Italiana.
Au début des années 1960, Ettore Scola est un scénariste émérite. En une quinzaine d’années, il a redirigé une vingtaine de scénarios et ses scénarios originaux (en collaboration avec Maccari notamment) ont été mis en images avec succès par Mauro Bolognini (Guardia, guardia scelta, brigadiere e maresciallo, 1956) ou Antonio Pietrangeli (Adua et ses compagnes, 1960) entre autres. Parlons Femmes est un film à sketches écrit pour Vittorio Gassman dont Scola a consolidé le succès naissant avec L’Homme aux cent visages (1960) ou Le Fanfaron de Dino Risi (1962). L’acteur d’origine autrichienne interprète huit rôles dans le film et c’est lui qui poussa Scola à la réalisation lorsque le metteur en scène initial se désista. Film pour un acteur par un scénariste sans expérience de mise en scène, le terrain pourrait sembler miné. Pourtant Gassman est omniprésent mais sait s’effacer derrière ses personnages et laisser de l’espace à ses excellents partenaires et Scola montre une personnalité puissante. Cette première des huit collaborations entre Scola et Gassman tape fort et juste.
Parlons Femmes s’attache à décrire les rapports biaisés entre il maschilista e la donna. Pourquoi biaisés ? Parce que monsieur semble n’avoir qu’une idée en tête et que madame n’est pas en reste. En huit sketches, Scola traverse les couches de la société, la pyramide des âges et les mouvements cinématographiques. Ainsi dès l’ouverture, il nous montre l’Homme, le vrai, le fort, chevauchant à travers la plaine, puis tournant autour d’une ferme sur une musique de western. Référence évidente aux films de John Ford que le réalisateur mêle ensuite à une ambiance néo-réaliste à la De Sica pour aboutir à un final typique de la nouvelle réaliste qu’on se gardera bien de dévoiler. Tout le monde est pris au piège des apparences. On a cru au grand western lyrique, Scola nous plonge brutalement dans une réalité quotidienne qu’il ne quittera plus. Délicieusement attrapés, on est désormais prêt à garder l’œil et l’esprit bien ouverts aux farces de nos deux compères.
« Si maman meurt pas, on fera la nouba ! »
Passé le premier sketch quasi hors du temps, les suivants seront clairement placés dans le monde et la ville contemporains. Scola multiplie les plans d’ouverture sur la cité, les routes et la sacro-sainte voiture, la foule, le mouvement. Parmi un monde en ébullition, la caméra semble sélectionner l’un de ses habitants pour s’attacher quelques minutes à lui et à un pan de sa vie, à l’image de l’habillage visuel entre les sketches qui joue du kaléidoscope pop aléatoire pour mener à la séquence suivante. Dans chacun d’eux Vittorio Gassman incarne un type : le dragueur italien à plusieurs reprises évidemment, mais aussi le vieux garçon, le prolo ou le paysan. Le prolo excepté, il décrit quasi systématiquement un pleutre qui se sert des femmes. La finalité : son propre plaisir bien sûr ou un service rendu, volé ou monnayé. En tous sens, la femme s’utilise. Si ses partenaires sont différentes à chaque épisode, elles ne reçoivent pas un meilleur traitement : bourgeoises qui s’encanaillent, mère envahissante, prostituée femme au foyer, infidèle ou peu coopérative…
Caricatural ? Oui forcément. Mais plutôt que de revenir à une vieille métaphore animalière latine dont le sens est tombé depuis longtemps, Scola le moderne affirme que l’homme est un salaud pour la femme… et que celle-ci ne vaut peut-être pas mieux. Mais c’est justement les travers des personnages qui nous les rendent sympathiques. Même en usant de poncifs folkloriques, Scola déjoue le piège d’une Italie "Barilla", jolie mais lisse, par un amour certain pour les défauts de ses personnages, mais surtout en leur donnant une profondeur et un sous-texte plus complexe. Gassman s’apparente souvent à un Gene Kelly latin, dégingandé, volubile, incorrigible charmeur, mais attachant. Et ses compagnes ne sont pas que jeunesse et insouciance, mais offrent parfois un visage moins tendre de l’Italie et de la situation des femmes : soumise au foyer, prostituée pour subvenir aux besoins du ménage… Sous couvert de comédie, l’homme a des mots extrêmement durs, reflet d’une pensée encore à l’œuvre dans les années 1960.
« T’en connais un rayon. Le métier ne s’apprend pas. On est péripatéticienne de naissance. »
On l’a dit les styles et les genres se mélangent dans Parlons Femmes. C’est le premier film de Scola et il développe à peine en images le ton acerbe qui deviendra le sien et sera si perceptible dans Affreux, sales et méchants (1976) par exemple. Si le spectre d’un certain néo-réalisme plane sur l’ambiance de comédie italienne, c’est pourtant aussi à la Nouvelle Vague française que l’on pense souvent. Proximité de certains sujets, rapport à la ville et aux extérieurs, repositionnement des femmes… Après tout, le terme même de « nouvelle vague » ne fut pas à l’origine forgé pour le cinéma, mais pour la sociologie dans une enquête sur les phénomènes de génération par Françoise Giroud en 1957. Preuve s’il en est que le si le mouvement naît en France, il est sans doute aussi l’affaire d’une génération de cinéastes autant que de frontières géographiques. On repense aux premiers Chabrol, au Godard de Vivre sa vie (1962) ou de Bande à part qui sort la même année. Et on constate une volonté similaire de redessiner des rapports humains plus conformes à la société contemporaine avec des formes cinématographiques de son temps. Chez l’Italien, les personnages sont des types, mais d’une humanité certaine et leur ascendance est nettement moins littéraire que chez le voisin français.
Avec un crayon bien aiguisé, Scola et Gassman nous encouragent à rire des clichés que l’on véhicule, rire des hommes et des femmes que nous sommes et du ballet ridicule auquel on participe chaque jour. Car si le rire est le meilleur des remèdes, c’est parce qu’immanquablement il marque la reconnaissance d’une situation, son acceptation comme vraie. Ainsi fait sens Se permettete, parliamo di donne et la comédie à l’italienne devient ouvertement politique.