On aura tout vu

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Marielle irrésistible en producteur de porno truculent.

1972. Une plaquette de beurre, Marlon Brando et Maria Schneider se livrant à une étreinte furieuse, le scandale est lancé. En 1974, c’est le Emmanuelle de Just Jaecklin qui fait sensation, lançant pour une courte durée le cinéma érotique dans les salles grand public. Si les années 1960 furent la décennie de la libération sexuelle, les années 1970 seront celles de sa surexposition. Pas une grosse production où l’actrice principale ne tombe sans complexe le haut, voire plus, et les scènes érotiques envahissent désormais le cinéma le plus grand public sans inhibition. En France, la première incursion de cette donne dans le cinéma populaire se fera avec l’excellent Sex Shop (1972) de Claude Berri, vision du bouleversement quotidien des Français face à des pratiques sexuelles désormais étalées au grand jour. Dans un registre plus auteurisant, le Maîtresse (1975) de Barbet Schroeder étalera également les pratique SM les plus déviantes sur grand écran.

C’est donc un sujet dans l’ère du temps qu’aborde Georges Lautner, mais la farce scabreuse attendue est remplacée par une belle comédie diablement drôle et émouvante. Le couple Pierre Richard/Miou Miou est pour beaucoup dans la réussite du film, porté par un scénario astucieux de Francis Veber. Le décalage de ces deux personnages pétris d’amour et d’innocence plongés dans le milieu du porno amène les instants les plus drôles et touchants du film. D’un côté, Pierre Richard, parfait dans son rôle habituel de doux rêveur lunaire, plus consistant ici car ayant un but, forcé par ambition de revoir ses velléités artistiques et d’avaler les couleuvres de Bob Morlock ; de l’autre, Miou Miou, débordante de charme et de candeur, prête à jouer dans le fameux film pour le dissuader de le réaliser. Les moments où Pierre Richard découvre effaré les modifications apportées à son script (dont une scène de lecture dans un café où les positions sont expliquées allusivement) ainsi que sa découverte des mœurs décomplexées du porno (dont une scène de projection énorme de drôlerie) sont excellents à ce titre.

Lautner parvient à créer une vraie émotion avec des scènes potentiellement vulgaires comme ce moment bouleversant où Miou Miou est contrainte les larmes aux yeux d’auditionner en récitant du Molière nue. Le réel attachement ressenti pour les personnages et la tendresse de leur relation crée un vrai ancrage émotionnel au film (notamment une très belle scène finale) qui, sur ses bases, peut aisément se lâcher sur le reste. Jean Pierre Marielle livre une prestation extraordinaire en Bob Morlock, forçant le trait sur le côté flambeur et odieux des producteurs de l’époque tout en gardant sa sympathie habituelle, et s’octroie les dialogues les plus mémorables du film, dont celui-ci :
« Dans la dernière production américaine, il y a 1h28 de sexe pour 1h30 de film. »
« Et les deux minutes qui restent ? »
– « Psychologie ! »

 

S’il ne néglige pas le côté haut en couleur de cette communauté, Lautner évite pourtant le procès d’intention (avouant dans les bonus du DVD qu’il allait voir les classiques de l’époque comme tout le monde) et s’amuse plutôt de l’aspect décalé et bon enfant qu’on y trouve – et rejoint en ce sens le futur Boogie Nights (1997) de Paul Thomas Anderson qui décrivait lui aussi les pionniers de l’industrie porno comme une grande famille. Une des scènes les plus réussies exprime d’ailleurs bien cette idée : Miou Miou déboule sur le plateau de tournage, bien décidée à faire un scandale, et découvre un Pierre Richard concentré sur son sujet, enfin réalisateur épanoui et donnant des directives sur son plateau. C’est finalement une manière de débuter comme une autre qu’il n’y a pas matière à juger.

Les interdictions aux moins de 18 ans des lois Giscard feront à l’avenir tomber le porno dans la ghettoïsation et le sordide, loin de la description qu’en fait ici Lautner. Hardcore (1979) de Paul Schrader, en fin de décennie, en montrera bien les dérives, la fête étant finie. L’appât du gain suscité par le milieu est d’ailleurs parfaitement souligné par le rôle de la bourgeoise (jouée par la mère de Lautner, Renée Saint-Cyr, souvent présente dans ses films) prête à investir quand elle découvrira les bénéfices potentiels, exigeant un film « bien raide » et « hardcore », annonçant ainsi les errements futurs.

Le film est aussi l’occasion d’apprécier (outre Gérard Jugnot qui a un vrai rôle) les membres de la troupe du Splendid (Michel Blanc encore chevelu et Marie-Anne Chazel entre autres), qui triompheront deux ans plus tard avec Les Bronzés (Patrice Leconte, 1978), et à laquelle Lautner fut un des premiers a donner leur chance, une scène étant même filmée au Splendid. Autre curiosité, le film a connu un quasi remake avec le film espagnol Torremolinos 73 (Pablo Berger, 2003), dont la trame et la période sont similaires mais l’intrigue traitée sur un mode plus dramatique.

 

Titre original : On aura tout vu

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Durée : 100 mn


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