Ocean’s Thirteen

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Et nous voilà dans le troisième volet d´une saga, commencée par le remake d´un film datant de 1961, L´inconnu de Las Vegas. Une première question s´impose : pourquoi un troisième volet ? Les détracteurs y répondent assez vite : formule profitable + casting inégalable = succès commercial garanti. Admettons que tout cela soit vrai, ces […]

Et nous voilà dans le troisième volet d´une saga, commencée par le remake d´un film datant de 1961, L´inconnu de Las Vegas.
Une première question s´impose : pourquoi un troisième volet ? Les détracteurs y répondent assez vite : formule profitable + casting inégalable = succès commercial garanti. Admettons que tout cela soit vrai, ces raisons nous paraissent pourtant insuffisantes. Après une suite qui n´avait pas eu le succès escompté, il n´aurait pas été plus facile de tourner la page ? Des recettes pour un succès commercial ne manquent pas dans les tiroirs des producteurs hollywoodiens ! Mais alors, pourquoi ? A notre avis, ce troisième opus est nécessaire à la saga, en ce qu´il complète la remise en question des Etats-Unis, entamée avec Ocean´s 11. Propos trop ambitieux pour un film grand public destiné à amuser des millions d´adolescents dans le monde ? Croire en cette idée signifie mal comprendre l´esprit d´Hollywood.

Ocean´s 11-12-13 ne sont pas des films dupes ou naïfs. Ils déplacent le discours politique, en le transportant de la société toute entière au monde restreint du casino. Ce dernier offre un double avantage. D´un coté, il permet d´ouvrir le champ à une vaste imagerie prête à accueillir les histoires plus improbables, libérant ainsi le cinéaste de la contrainte du naturalisme, du vraisemblable et de la fidélité au réel. De l´autre, dans le monde du casino, le sort des hommes bascule en fonction du gain ou de la perte d´argent. Il s´offre alors en modèle du système économique capitaliste : des privés mettent librement en jeu leur fortune, en essayant de tirer un profit de leurs échanges avec les risques associés.

Soderbergh a décidé de démonter ce jeu, rappelant son péché originel : c´est toujours la banque qui gagne ! Las Vegas s´offre comme un décor parfait pour cette mission, se voulant métonymie du monde occidental en englobant tout les symboles : les gratte-ciels, les canaux de Venise, la Tour Eiffel. Mais si tout y est, tout est aussi faux. Elle n´est pas la reproduction d´un monde mais celle de la volonté d´un Pays, les USA, de s´en approprier. Las Vegas est la ville la plus extrême du << Far West >>, terre fertile de la mythologie américaine. Ce n´est sûrement pas un hasard si c´est ici qu´aujourd´hui, un groupuscule de cow-boys tente de se réapproprier un Pays qu´il ne reconnaît plus : << La ville a changé >>, dit Clooney en regardant les immenses immeubles qui occupent le cadre. Les Etats Unis ont changé, paraphraserons-nous. Vu l´abondance de drapeaux américains dans le film, on ne craint pas de se tromper.

Mais comment faire ? La mission semble impossible. Le méchant << The Bank >> (dont le nom ne laisse guère de doute sur son caractère symbolique !) détient le pouvoir : il possède l´argent, la technologie et la reconnaissance (les diamants). Pire : L´Etat américain est dans sa poche, le FBI travaillant pour démasquer les fraudeurs qui lui feraient obstacle dans ses affaires, sans se préoccuper un instant de la légitimité de ces derniers (pourtant William Bank a le visage d´Al Pacino, icône internationale du mafieux, mais personne ne le voit !) Nulle surprise donc si les seules figures, capable de renverser le jeu, sont hors du système étatique connivant, << hors-la-loi >> (Danny Ocean au début de la saga sortait de prison).

Ce fut souvent le cas aux USA : gangsters, cow-boys, malfrats de toute sorte, gens mis à l´écart par le système, furent appelés par divers cinéastes à en relever le sort. Mais pourquoi se sentiraient-ils en droit de se révolter ? Soderbergh répond bien à ces questions, en décrivant les personnages de Ocean´s 13: << Ces gars sont des voleurs et des escrocs, mais le profit n´a jamais été leur seule et unique motivation >>. Le mystère est dévoilé : Ocean et sa bande agissent contre la loi de l´argent ; sans pourtant se poser comme exemple de vertu. Au départ c´est la prime qui les intéresse !

George Clooney serait du même acabit que James Stewart dans L´Appât (Anthony Mann, 1953) ? Pourquoi pas ! Mais avec un problème en plus. Dans le monde contemporain, il faut jouer contre le temps. Le rythme du film, de par son découpage, son montage et ses split screen, traduit la frénésie d´un monde où les choses adviennent en même temps et filent tellement vite qu´on a parfois du mal à les voir. La surenchère technologique a produit des systèmes de contrôle insurmontables. Les caméras à chaque coin surveillent les gestes, contrôlent les pupilles, le coeur, la sueur des hommes. Mais si l´on ose s´attaquer à la base de la chaîne de production, ce système s´écroulera comme un château de cartes. Il faut reprendre le contrôle sur les dés, aller parmi les travailleurs du Mexique, s´allier avec eux pour réussir !

Ocean´s 13 film communiste ? N´exagérons rien ! Il pose clairement la nécessité de rompre avec un système économique, mais il n´épouse pas du tout l´alternative communiste. En ce qui concerne la révolte ouvrière, Soderbergh (qui prépare un film en deux volets sur le Che, The Argentine et Guerilla) semble trancher net : elle ne peut être qu´instrumentalisée. Si on y croit un moment, quand on voit les ouvriers attachés au grillage de l´usine en train de revendiquer de meilleures conditions de travail, un plan d´ensemble montre bien les limites numériques de la révolte et le coté << mis en scène >> de ce genre de protestation., souvent éphémère.

Que propose donc le film ? Quelques hectares de tranquillité, la perspective de deux gosses et une femme et, ajouterons-nous, un ranch, comme d´habitude. Mais il n´est pas moins important de souligner les mérites d´un film dynamique et prenant, jouissif et poignant, trop souvent victime des a priori critiques, soient-ils favorables ou contraires, qui empêchent de le juger pour ce qu´il mène à penser.

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