Neptune Frost

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Qui a peur de l’afro-futurisme ? Certainement pas Anisia Uzeyman ou Saul Williams.

Un véritable Boogie Wonderland

De prime abord, il apparaît de Neptune Frost que c’est un film citationnel, assez en dialogue avec plusieurs parangons de cultures semi-alternatives et para-radicales qui ont fait la renommée du cinéma des Etats-Unis. Mais s’il est vrai que le long-métrage Américano-Rwandais emprunte ses « travelling flottants » à Spike Lee et quelques lumières au Sidney Lumet de The Wiz, Neptune Frost s’évertue à limiter une redevance esthétique trop forte à ces cinéastes, leur préférant une ligne plus neuve et éloignée des considérations occidentales – Celle de l’afro-futurisme. Certains noms de personnages ont beau être sémiotiques (Technology, Psychology, Memory, etc), entre autres codes cyberpunks qui rappellent Matrix, Neptune Frost est une œuvre qui revendique clairement et profondément une identité africaine et noire, à l’exclusion de toutes les autres. Une seule et unique actrice blanche apparaît dans le récit – une présentatrice JT (Ekaterina Baker), qui travaille pour un « Network », dont le logo sera transformé, dans un plan plus serré, en injonction Carpenterienne : « Work », en lieu et place de « Obey ». Ce « Network » intervient dans l’image à un moment où elle se brouille, où elle se dégrade, où elle prend des airs de glitch-art. Tel est le pouvoir, apte à briser le quatrième mur, de l’antagoniste de Neptune Frost, un réseau infini ou indéfini qu’on appelle simplement « The Authority ».

Pas un sous-texte, mais un texte contestataire non-dissimulé, on aura vu que la proposition de Neptune Frost a quelque chose du film théorique, qui demande à être compris. D’un autre côté, son ambition de créer le plus de nouvelles images possibles –  son affinité avec le jamais-vu –, crée une tension intéressante : Le film a-t-il besoin d’être entendu ou a-t-il besoin d’être vu, d’être vécu ? Il est possible qu’il ait besoin des deux, mais pour atteindre ce double-objectif, un travail d’équilibre plutôt délicat doit être fait. Saul Williams, rappeur-poète, et Anisia Uzeyman, dramaturge formée au TNB de Rennes, le couple de cinéastes derrière cette œuvre, ne réussit pas toujours à trouver cet équilibre. Le résultat est parfois imparfait, mais faute de mieux, il est toujours intéressant, le long-métrage étant doucement traversé par des nébuleuses néons qui subliment les paysages du Rwanda et du Burundi qu’on nous donne à voir. Le film trouve sa force dans la direction de la photographie d’Uzeyman – Et la photographie trouve sa force dans le spontané, l’instantané de compositions tantôt végétales, tantôt minérales, tantôt faites d’amas et de fatras de technologies recyclées. Quitte à faire un choix, on préfèrera l’audio et le visuel de l’œuvre au récit qu’ils portent !

 

… Dans lequel les 4 éléments sont la terre, l’air, le feu et les émotions.

Le synopsis de Neptune Frost est mince : Un jeune mineur (Bertrand Ninteretse, alias Kaya Free) s’éveille à la vie après le meurtre du frère (appelé Technology, donc) dont il s’est toujours occupé par un contremaitre. Marchant sans destination précise, il découvre une communauté de hackers dirigée par l’intriguant.e Neptune. Neptune, un personnage duel pour ses interprètes (Cheryl Isheja & Elvis Ngabo) comme dans son genre, ouvre une dimension queer au protagoniste et au spectateur – Neptune Frost, c’est aussi un film qui perturbe volontairement toute sorte de frontières, celles des genres comme constructions sociales, et aussi celles des genres comme catégories de cinéma. L’œuvre est en effet à mi-chemin entre la rêverie et la comédie musicale techno. Les moments de chants sont parmi les plus captivants du long-métrage : Riches en variété, les morceaux de Saul Williams sont unis par une qualité directe et sincère proche de l’art contemporain. Surtout, ceux-ci inscrivent le film dans l’œuvre plus large de Williams, qui semble avoir commencé à assembler ce genre de thématique avec l’album MartyrLoserKing de 2016. Martyr Loser, ou Matalusa, c’est d’ailleurs le nom que se donnera le protagoniste, avec toutes les connotations que cela engendre par rapport à un autre MLK très connu, militant lui aussi.

Il n’est pas difficile de prendre un élément de Neptune Frost et de l’utiliser pour construire du sens. C’est à mon sens un défaut du film ! Trop imprégné de signifiants, Neptune Frost perdra certains des spectateurs à qui il n’apprend rien. Et il intimidera les spectateurs à qui il doit tout apprendre. Clipesque, il aurait pu trouver un public plus large s’il l’était encore davantage, cédant à son désir limpide de faire de l’afrostentatoire futureuphorique. Un cinéma du look, il ne l’est pas comme a pu l’être ce qu’on a appelé les BBC (Besson, Beinex, Carax) français. Eux commentaient la télévision. Williams et Uzeyman commentent Internet, son immanence et la façon dont il donne à tout les habits de l’imminence. Ainsi, Neptune Frost est surtout une émulsion, aussi percutante soit-elle. Comme tous les zappings, il a des moments qui se distinguent plus que d’autres. Et comme tous les zappings, il réserve des surprises – Entre autres, la présence au générique de l’Ezra Miller de DC et du Lin-Manuel Miranda de Disney, inexplicablement crédités à la production.

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Durée : 110 mn


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