En cela, Mother, son nouvel opus, est exemplaire. Moins déroutant, a priori, que Memories of murder, moins spectaculaire que The host, les deux longs métrages qui l’ont intronisé sur la scène internationale, ce film centré sur une enquête en forme de drame familial n’en articule pas moins le brio de son style – c’est remarquablement filmé – autour des trois axes qui font, chaque fois, toute la saveur de du cinéma de cet auteur à part : suspense, humour, humanité. Une combinaison d’autant plus redoutable qu’elle déroule sa logique heurtée, toute en ruptures de tons, à partir d’un motif classique. A savoir l’histoire d’une mère-courage décidée à remuer ciel et terre pour prouver l’innocence de son fils, un brin simplet, accusé de meurtre…
Bien sûr, vu les antécédents de ce cinéphile joueur et généreux, on peut compter sur Bong Joon-ho pour dénicher l’exceptionnel, voire l’extrême, à partir de ce terreau presque banal ! Et bien sûr, tour à tour intrigué, amusé, touché, impressionné, on fonce tête baissée dans l’intimité de cette relation hors norme. De ce lien qui bouscule les usuelles notion du bien et du mal, du désir et de la loi. Sauf que le talent du cinéaste étant aussi, en nous baladant d’un thriller à un film de fantômes, d’une tragédie antique à un drame villageois, de maintenir nos sens en alerte, jamais l’on ne tombe dans le bluff ni dans la séduction anesthésiante. Ce en dépit de plans stupéfiants de plénitude et de souffle. En somme, on reste, quoi qu’il en soit, dans la subversion du doute, dans l’« intranquillité » de la question.
Contrepieds
Déjà, on subodore le contrepied, en sachant que la comédienne choisie pour ce rôle brûlant – Kim Hye-ja – est une immense vedette en Corée après avoir incarné des décennies durant la figure de la mère sacrificielle et lisse. Ensuite, si de longs plans de forêts, de champs (ouverture et clôture de Mother, d’ailleurs), voire d’un vaste terrain de golf immaculé aèrent cette intrigue resserrée sur cette mère obsessionnelle, nombre de ruelles, de dédales et de conduits obscurs nous ramènent, sans cesse, à l’essentiel. A l’enquête d’abord, celle hâtive, pseudo-scientifique des policiers ; celle déraisonnable, irraisonnée de la mère ; et celle enfin de « l’innocent » dans ses propres souvenirs…
Car de fait, impossible de ne pas relier l’exploration des coins et recoins opaques de la petite ville, derrière lesquels se nichent de fausses vérités ou de vrais mensonges, à l’exploration d’une mémoire plus… collective. Celle de la Corée, pays fragmenté, déchiré, aux vérités plurielles et aux souvenirs là aussi sujets à caution (ceux que l’on tait, ceux que l’on peut partager, etc.). Que Bong Joon-ho ait choisi, une fois encore, de faire évoluer un personnage de simple d’esprit dans un cadre campagnard – faible parmi les faibles – ajoute encore, très justement, à cette impression de voir des gens débordés, dépassés par leur histoire.
Non, décidément, rien de classique ni de convenu dans ce portrait maternel, qui ressemble autant à une rêverie (les psy se régaleront !) qu’à un cri.