Mommy

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Un très long clip des frères Dardenne.

Le double prix du jury du dernier Festival de Cannes décerné à Godard et Dolan est finalement peut-être moins le signe d’une célébration un peu plate et pompeuse de deux générations extrêmes de cinéma que le symbole de possibles dissensions au sein du jury. On n’aimait pas beaucoup Adieu au langage, mais malgré son verbiage solitaire et sciemment méprisant, Godard proposait une forme et quelques éclats qu’on ne distingue que trop rarement. Godard faisait du Godard. Dolan fait du Dolan. Le jury a-t-il voulu mettre en parallèle deux caricatures d’elles-mêmes ? Ce serait pousser loin le second degré. A ceux qui avaient cru à un mûrissement et un arrêt des afféteries superficielles avec Tom à la ferme, sorti en début d’année (on pouvait aussi voir que le réalisateur troquait un artifice contre un autre, remplaçant les références à la pop culture par une ferronnerie hitchcockienne installée à la campagne), Mommy montre que rien n’a changé et qu’on retombe dans la tambouille qui mijote depuis Les Amours imaginaires (2010).

On atteint franchement ici les sommets de l’horreur. Quand Steve, ado difficile en centre de redressement, retrouve sa mère, la situation ne peut qu’être explosive. L’aide inattendue de l’étrange voisine bègue arrondira-t-elle les angles ? Et voilà que Dolan plonge la tête la première dans le misérabilisme et le voyeurisme de bon aloi. Les acteurs sont poussés à bout dans une hystérie presque permanente. Cris, crises, larmes, réconciliations, câlins alternent avec une régularité métronomique. Loin d’être mauvais, les acteurs sont là pour servir une performance générale, ampoulée et poussive. Constat chopé au vol, situations établies en dépit de toutes causes, on est là pour observer la crise, pas pour l’expliquer, ni même la comprendre, surtout pas pour essayer de l’analyser. En ne s’attachant qu’à la seule exacerbation des émotions, Dolan ne donne qu’un film gratuit.

 

Aussi gratuit que la panoplie d’effets qu’il emploie. Ses afféteries maniéristes coutumières se déploient tranquillement : sur-présence musicale, avalanches de tics visuels sur-signifiants, caméra qui se regarde filmer. Ce à quoi il faut ajouter le choix du format carré (1.1) de l’image pour la quasi-totalité du film sans que l’on ne comprenne bien pourquoi jusqu’à ce que l’image ne s’étire en longueur pour adopter un format plus conventionnel. La situation des personnages s’améliore. Ils sont heureux, ils font du vélo dans la rue en gueulant et en jetant des oranges sur les voitures. Ils respirent, vous comprenez. Ça ne dure pas et l’écran peut alors se resserrer pour accentuer la sensation d’emprisonnement que leur procure leur vie. C’est malheureusement trop binaire pour fonctionner. Ou alors on est tellement abreuvé d’effets que ce choix-là n’en est qu’un de plus. A part dans la scène de karaoké, où les gros plans de visages grimaçants se moquant de Steve fonctionnent en évoquant une parenté avec le cinéma muet, ce format carré, classiquement utilisé pour enfermer les personnages dans l’écran, leur enlever toute échappatoire possible, s’avère au final contre-productif pour Dolan.

Mommy donne la sensation, guère agréable, de regarder un très long clip réalisé par les frères Dardenne. Ou plutôt un scénario des Dardenne clippé par Dolan. Mêmes personnages abusés par le réalisateur, même condescendance de mise en scène, même moralisation de façade. Mais au moins, on a du rythme, on a de la belle ouvrage, à commencer par la séquence d’idolâtrie qui ouvre le film. « Mama, I love you. Mama, I care. » Les Spice Girls en fond sonore n’auraient pas dépareillé. Par beaucoup, Dolan est accusé de n’être qu’un petit faiseur. Il n’est probablement même pas cela. Plutôt un boulimique cinématographique, un bon élève prêt à recracher la leçon facilement apprise, mais guère capable de réfléchir et penser par lui-même. L’avenir nous surprendra peut-être, mais c’est aujourd’hui vers cela que tend Dolan avec une gloutonnerie non dissimulée.

Titre original : Mommy

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Durée : 138 mn


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