Mission Impossible : Dead Reckoning, partie 1

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Ode à la surenchère, symphonie de suspense, cet épisode de « Mission Impossible » parvient-il à être encore meilleur que les précédents ?

Un travail d’orfèvre, tissé en hommages et en choix excitants

Mission Impossible : Dead Reckoning. La traduction littérale française aurait été moins vendeuse – Mission Impossible : Navigation à l’estime (partie 1). C’est quoi, au juste, le « dead reckoning » ? Outre un sous-entendu sur le double-sens du mot « reckoning » (le calcul mais aussi la vengeance – le fait de rendre des comptes ou de régler les siens), le terme désigne une pratique aujourd’hui obsolète de navigation sans cartographie. C’est ce que Christophe Colomb utilisait, dans ses voyages vers l’inconnu, usant de trajectoires déduites avec patience à partir de données comme la vitesse et le courant, mesurées à l’aide d’instruments que nous n’utilisons plus pour atteindre en plusieurs semaines des destinations que nous pouvons désormais voir en quelques heures. Ce procédé, parfaitement analogue s’il en est, donne un titre ironique à un blockbuster dont la menace première est digitale. Exit les bioterroristes/rivaux amoureux de John Woo et les Russes nostalgiques de la Guerre Froide de Brad Bird.

Dans le dernier volet en date des aventures d’Ethan Hunt (Tom Cruise), première moitié d’un dyptique, l’ennemi est numérique, une IA qui a beaucoup plus en commun avec HAL 9000 qu’avec n’importe quel Blofeld. À l’heure où le sujet est d’actualité (peut-être trop, pour un M:I – Depuis De Palma, la saga a toujours commenté la fiction d’espionnage plutôt que sa réalité), il est intéressant de voir le traitement que Christopher McQuarrie, seul réalisateur multirécidiviste de la franchise, en fait : « L’Entité », puisque c’est ce dont il s’agit, est vivante, tortueuse. Sa froideur flirte avec un sadique presque humain. Ses plans néfastes, qu’on devrait finir de comprendre dans la suite, sont apocalyptiques. Et sa puissance est celle qu’on imagine d’une conscience capable de contrôler chaque appareil connecté, chaque interface en réseau. Quiconque se souvient de l’enthousiasme ressenti en découvrant l’étendue et la précision des images satellites de Google Street View, ou de la paranoïa instinctive face à des produits comme Siri ou Alexa, saura qu’il s’agit d’un potentiel immense qui donne froid dans le dos.

Il prive aussi cette équipe d’agents secrets (outre Cruise : Simon Pegg et Ving Rhames. Ils ne font que passer, mais ils passent dignement) de leur panoplie d’outils habituels. Métatextuellement, il continue de pousser la saga un peu plus loin du recours au numérique. Hunt l’agent, Cruise l’acteur-producteur, et McQuarrie doivent donc progresser par « dead reckoning », mobilisant toujours plus de cascades bien réelles, soigneusement préparées et époustouflantes pour Cruise. Il est très à propos que les deux plus impressionnantes renvoient au passé sans CGI du divertissement, avec, entre autres, un saut à moto qui rappelle Evel Knievel, et un acte final sur l’Orient-Express, où il va être question de meurtres de passagers et d’identités cachées.

McQuarrie et la mythologisation de Mission : Impossible

On a beau savoir que le héros va s’en sortir, et on a beau savoir que Cruise est encore en vie, les scènes de bravoure de M:I ont toujours quelque chose d’haletant, d’apnéique. Des séquences parmi les plus expertes du cinéma américain moderne, portées par la témérité suicidaire d’une star qui n’a pas l’air de vieillir physiquement, ni de développer menue peur de la mort. Soit. Du moment qu’une caméra tourne, on sera heureux de pouvoir suivre les audaces du vrai Last Action Hero. Et cette témérité n’a d’égale que la réticence choquée de Hunt, personnage caricaturalement admirable, mais tout de même un peu moins que son interprète. McQuarrie s’acquitte adroitement de mettre en forme une action maîtrisée par tous les corps en présence. Il rythme très bien tout ce qu’il faut très bien rythmer. Et il fait très, très bien monter (par Eddie Hamilton) tout ce qu’il faut très bien monter.

Le prix à payer pour ce niveau de sophistication – ma seule réserve sur ce film – sera le sens du dramatique de McQuarrie, qui aromatise tout, à la salière et à la poivrière, de discours sur le destin et de monologues sur le monde. Ces dialogues fourrés d’importance indue, ces méchants philosopheux, sont en deçà de l’excellence du reste de la proposition de cinéma. Ils sont présents depuis le premier essai de McQuarrie : le flair opératique de Rogue Nation était littéral, puisque le film de 2015 comportait une scène à l’opéra. « L’Entité » au centre de Dead Reckoning est intéressante en ceci qu’elle impose de nouveaux défis aux personnages, et qu’elle donne de la matière à analyser au spectateur. En tant qu’antagoniste, on regrettera le pragmatisme de criminels plus simples. Rappelons que dans le premier Mission Impossible, l’intrigue était très interne au monde des espions. La victoire de l’ennemi n’aurait mené à aucune mort civile.

Un héros, un méchant en forme de Fake News

En outre, le penchant du cinéaste pour le mélo produit un effet particulier sur les personnages féminins. Les dames ne sont pas tout à fait écrites comme les sieurs. Vanessa Kirby, jouant la « Veuve Blanche », pour ne pas dire l’Atomic Blonde d’un empire mafieux, a l’air tout droit sortie d’une autre catégorie de John Wick-erie. Et Ilsa (Rebecca Ferguson) comme Grace (Hailey Atwell), nouvelle recrue, sont des personnages désespérément romantico-lyrico-tragiques. Une émotionnalité de haute voltige, sans filtre, jamais plus évidente que dans la première scène d’Ilsa, qui raconte sa fausse mort. Au moins, Kirby a l’air de beaucoup s’amuser dans ce rôle. Et Ferguson et Atwell parviennent à être touchantes, certainement plus que dans la majorité du reste de leurs filmographies.

Quelques écueils, beaucoup de claques d’adrénalines : voilà, au fond, la promesse qu’ont toujours fait les Missions Impossibles, surtout ceux de McQuarrie. Dead Reckoning, partie 1, est à ce niveau-là plus que satisfaisant, plus qu’à la hauteur, et il dépasse facilement en ampleur au moins les volets 3, 4 et 5. La franchise a toujours aimé les voyages à l’international (ici, Abu Dhabi, Rome, Venise) et les personnages qui peuvent s’appeler « Paris » (Pom Klementieff). Habile, elle parle un langage international : celui du frisson, du suspense et du momentum. Aussi, accidentellement structurés comme la saga Harry Potter (8 films avec un duo de conclusion, les premiers réalisés par une tournante de cinéastes, les derniers par un artiste avec une vision unie), les Missions Impossibles promettent un meilleur final que ces adaptations littéraires : un phénomène de cinéma, et non pas un phénomène de mode cross-media. Bon sang de balls, au bout du septième volet, on continue d’en apprendre un peu sur le Superman (Super-boy ? Super-boy-scout ?) Ethan Hunt ! Pas tant dans le jeu, celui de Cruise reste sensiblement le même. Mais dans la mise en scène : dans un extrait où on dira de « L’Entité » qu’elle est « partout », un plan sur un personnage qui se révèlera être Hunt sous un masque dresse un lien entre agent et danger. Face à cette menace pour une ère de la post-vérité, McQuarrie nous montre donc un héros multiforme qui a toujours incarné le versant pur et lumineux du mensonge et de la tromperie.

 

Titre original : Mission Impossible : Dead Reckoning Part One

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Durée : 163 mn


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