Miel

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Quand le « Miel » de Semih Kaplanoglu rencontre l’Ours berlinois, le festin s’annonce de taille. Promesse tenue : ce dernier volet de la Trilogie de Yusuf distille savamment une gelée royale poétique et spirituellement symboliste.

Dans Correspondance, Baudelaire écrit : « La nature est un temple où de vivants piliers /Laissent parfois sortir de confuses paroles;/ L’homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui l’observent avec des regards familiers ». Avec Miel (Bal), le cinéma se fait synesthésie, alliance mystique, spirituelle, de ces touches poétiques écrites dans le livre de la nature et uniquement déchiffrables par le jeune poète qu’est Yusuf. Celui-ci bégaie et s’empêtre dans la lecture d’une fable de La Fontaine alors qu’il lit parfaitement la syntaxe invisible d’un cosmos dont le schéma est rythmé par les sens : le goût sucré du miel, le regard perçant de la chouette, le bruit des feuilles bercées par le vent et l’orage, les caresses maternelles.

Précisément, là où Miel nous semble plus réussi que les volets précédents, c’est qu’il pousse jusqu’à ses derniers retranchements la thèse du réalisateur : « nous avons besoin de contempler ». Là où Yumurta et Milk restaient régis par une certaine trame narrative, Miel se fait le cadre d’une histoire où il ne se passe, pour ainsi dire, rien. Alors que le miel commence à tarir dans les environs, le père de Yusuf décide de visiter les ruches lointaines. Les jours passent sans qu’il revienne. Yusuf et sa mère partent à sa recherche, en vain. La trame du film tient en une péripétie, encore minimisée par le refus du suspens : l’on connaît la « chute » dès le pré-générique. Mis à distance vis-à-vis de l’histoire, le spectateur ne peut que contempler, sentir, ce qu’on lui donne à voir. Même les dialogues lui sont interdits : lorsque Yusuf s’adresse à son père, c’est en murmurant dans son oreille, lorsqu’il veut lui (nous ?) raconter son rêve, son père l’invite à le garder pour lui.

La conséquence de cette épure stylistique et narrative entraîne naturellement une relation différente à la temporalité. Dépouillé de toute action, le film peut paraître long. Les plans fixes ont tendance à s’éterniser, le montage, bien qu’incontestablement présent, se fait modeste et discret, l’attention portée au détail ralentit l’ensemble. Miel aurait sans doute pu tomber dans un certain formalisme hermétique si le réalisateur n’avait pas pris le temps d’exposer sa thèse dans les deux opus précédents. Pour le rousseauiste, fidèle et romantique qu’est Semih Kaplanoglu, la perversion naît de la civilisation, elle-même fille d’un matérialisme pragmatique qui nous empêche de ressentir et de percevoir ce qui est simplement face à nos yeux. La fraîcheur d’une lune rencontrée au détour d’un seau d’eau, l’étonnante géométrie d’un essaim, l’obscurité d’une colonnade d’arbres…
Un symbolisme indubitablement teinté de créationnisme dans lequel l’homme est marqué par la Faute et la nature divine.

Un tantinet réac ? Certainement. Tout comme l’ont été les Romantiques qui ont vu dans la modernisation la sécularisation du Mal. A la différence de Milk, le ton se fait moins moraliste, et c’est en toute liberté que l’on se laisse aller à la beauté du film.

A lire, une interview avec le chef opérateur de Miel, Baris Ozbicer, publiée dans le dossier consacré au renouveau du cinéma turc Saga sur la Turquie.

 

Titre original : Bal

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Durée : 103 mn


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