L’étoile filante

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Mélancolie du cinéphile

Boris, barman et ancien terroriste d’extrême gauche, vit dans la clandestinité. Quand un homme entre un soir pour tenter de lui tirer dessus, il est contraint d’organiser sa fuite avec sa femme. La rencontre avec Dom, sosie parfait de Boris, sera peut-être une porte de sortie pour disparaître.

Des références trop lourdes à porter

Si Fiona Gordon et Dominique Abel tiennent les rôles principaux de leurs cinq long-métrages, qu’ils s’accompagnent à chaque fois de Philippe Martz et de Bruno Romy (co-réalisateur de leurs trois premiers films, dont le très beau Rumba), et que l’on ne peut voir au cinéma ces quatre visages qu’au sein de cet univers fantaisiste – comédiens de théâtre, ils n’ont que très peu joués pour d’autres cinéastes –, leur esprit de troupe ne s’arrête pas à un mode de fabrication familial. Un monde quasi-désert, des vues larges qui saisissent généralement toute l’action, un attrait pour les vieux objets anachroniques : chaque plan semble nous transporter sur la scène d’un petit théâtre ambulant. Héritière de Méliès, cette idée du plan comme totalité – totalité de l’action et totalité du monde, semble imperméable au réel. Les personnages sont des marginaux : Boris et sa femme vivent dans la clandestinité, et Dom, dépressif depuis la mort de sa fille, vit reclu avec sa femme Fiona. De plus, si l’action se déroule à Bruxelles, chaque décor semble fait pour protéger ces personnages vulnérables de l’imaginaire animé de la grande capitale européenne : un bar occupé par une poignée d’habitué, une petite maison dans un coin abandonné à l’extérieur de la ville et un cimetière de campagne envahit par les hautes herbes. Pourtant, des ouvertures fissurent les bords de ce monde en vase clôs, de manière quasi littérale lorsqu’une manifestation pour les droits sociaux, passant à côté du bar, fait l’effet d’un véritable tremblement de terre. Ces appels d’air du monde politique ne sont cependant jamais réellement traités, et ceux malgré la politisation du personnage de Boris. Ils semblent n’être que des prétextes à nourrir de situations nouvelles l’univers burlesque des cinéastes, comme lorsque le personnage renverse un plateau de Monopoly en criant qu’il s’agit d’un jeu capitaliste. Si le film s’ouvre sur le monde, c’est bien plus volontiers sur un monde de cinéma que sur le réel. Comme dans les autres films du duo, les références sont très perceptibles, peut-être trop pour que leur univers se distingue réellement : le burlesque social de Chaplin, le burlesque matérialiste de Tati et surtout le maniérisme de Kaurismaki. Si dans ce dernier film, ils semblent avoir abandonné le mutisme du cinéaste finlandais, il est difficile de ne pas percevoir sa présence dans certains choix qui semble pourtant viser la singularité de l’univers : le choix de la pellicule imitant le technicolor, l’écriture mélodramatique – le hasard capable de déterminer toute une vie de façon tragique, l’amour des « gueules », ici en particulier celle de Philippe Martz et son air patibulaire, ou encore certains lieux, bars d’habitués, périphérie urbaine, marges autrefois occupées par les personnages des films noirs. L’Étoile filante souffre de certains points communs malencontreux avec le dernier film de Kaurismaki sorti l’année passée, Les feuilles mortes : force du destin exprimée par un détail, un numéro de téléphone oublié sur le trottoir ou la photo d’un enfant disparu, ou encore introduction de références politiques au sein d’un univers qui semble pourtant entièrement recréé – la gravité apportée par l’évocation du conflit entre la Russie et l’Ukraine à la radio dépasse largement le stade de l’imagerie auquel s’arrête L’étoile filante.

Dernière danse

Pourtant, c’est en mobilisant de façon assumée l’une des références du cinéaste finlandais qu’Abel et Gordon trouvent la véritable force du film. En s’appuyant sur les codes du film noir, les bars, les imperméables en cuir et un personnage de détective, ils introduisent une mélancolie nouvelle au sein de leur univers fantaisiste. La fumée d’une cigarette, un visage féminin mystérieux : au sein d’une narration très contrôlée, des moments plus flottants se détachent dans les films noirs, visuels et poétiques. Certaines images trouvent dans le rythme du film une élégance similaire. Les pas d’un homme dans la nuit pluvieuse, deux ombres qui s’embrassent à une fenêtre, l’esthétisme de ces moments s’annihile par leur douceur onirique. Surtout, c’est le poids de leurs actes passées qui pèsent sur les personnages, soumis aux désirs de vengeance des autres. Au-delà de l’aspect narratif, c’est sur les corps que ce passage du temps s’inscrit véritablement. L’héritage cinématographique des cinéastes cinéphiles s’est toujours donné à voir à travers la danse, surgissant sur le mode de la comédie musicale. Dans un cinéma comme lieu où, par la proximité permise par la caméra, la légèreté des corps circassiens se confronte à leur existence charnelle, les muscles sur les os, les longues silhouettes fines et musclées des cinéastes ont toujours constituées leur véritable singularité matérielle. Pourtant ici, les scènes de danse prennent moins de place. C’est alors sur les visages que s’imprime la mélancolie du film, en particulier sur celui de Dominique Abel. Son incarnation de deux personnages différents, Boris et Dom, est l’une des grandes sources de gag du film : allers-retours plus ou moins discrets d’une voiture devant Dom, repéré par Boris, sa femme et son complice ou encore Dom assis endormi sur une chaise et déguisé en Boris par les trois autres qui mènent un véritable numéro d’équilibriste pour ne pas le faire tomber. Pour soigner sa dépression, Dom doit s’appliquer un patch sur la peau. Attristé par la disparition de sa femme, il en aura besoin d’une dizaine pour mener la danse finale. Le film semble dès le début contaminé par cette fatigue nouvelle, mélancolie physique du corps qui ne pourra bientôt plus danser. Bientôt, l’écran sera envahit par un visage recouvert de rides.

Titre original : L'étoile filante

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Durée : 98 mn


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