Loulou (1980)

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L’amour à corps perdu.

On ignore ce qui, un soir, pousse Nelly (Isabelle Huppert) dans les bras tatoués de Loulou (Gérard Depardieu). Jeune bourgeoise mariée, elle s’abandonne avec ce petit loubard paumé le temps d’une danse et finit dans son lit le temps d’une nuit. Rupture et dérèglement : elle quitte son mari André (Guy Marchand) pour mener une vie de bohème avec ce « Loulou ». Considéré sous l’angle de l’histoire personnelle de Maurice Pialat, cet évènement rappellerait ce qu’il vécut sur le tournage de La Maison des bois (1971), lorsque sa compagne et scénariste Arlette Langmann le délaissa pour un dénommé « Dédé », décorateur stagiaire fraîchement sorti de prison. Réminiscence d’une douleur encore vive, Pialat filme la rupture de manière frontale, avec toute la brutalité qu’elle engendre, ce qu’incarne à l’écran la violence physique et verbale d’André à l’égard de Nelly. Si l’on ne sait rien des raisons qui animent la jeune femme, c’est que le cinéma de Pialat est avant tout un cinéma du corps. Pour le cinéaste, la rupture est donc à envisager sous un angle unique : quitter un corps pour en retrouver un autre.

 
 

 
 
La relation entre Loulou et Nelly est donc avant tout charnelle. La parole est réduite à l’extrême et ce sont les deux corps qui se répondent, chacune des scènes de lit offrant sans doute ce que le film a de plus beau. Peut-être est-ce à travers ce rapport au corps que la première collaboration entre Pialat et Depardieu relève à ce point de l’évidence. Si Gérard Depardieu au cinéma c’est avant tout un corps, que ce soit en 1979 ou en 2016, le travail de Pialat lui offre tout naturellement de quoi le magnifier. Il y est libre, déchaîné au sens littéral du terme, et plus encore que chez Blier, l’acteur y développe une aura immense. Interrogé en plein tournage sur le travail de Depardieu, Pialat s’exprime en ces termes : « Il me surprend pas, il m’fait marrer. C’est bien mieux. Je passe pas mal de prises secoué de rire, je crois que c’est bon signe. Ça veut pas forcément dire que ce sera bien une fois que ce sera mis dans le film. Mais c’est quand même mieux de voir quelqu’un qui est en train de tourner une prise et on se marre en le regardant, que de voir quelqu’un qui vous emmerde. C’est plus sympathique quand même. » (1).

Alors qu’on sait les tournages de Maurice Pialat tendus – voir Pialat, 17e jour de tournage du film Police (1985) (2) – il est intéressant de voir le cinéaste faire immédiatement référence à l’humour que Depardieu insuffle sur le tournage, et, de facto, au film. À écouter le cinéaste, la limite entre tournage et film semble d’ailleurs très floue, et si l’on rit sur le tournage, on rira devant le film. Et il est vrai que le rire a une place majeure dans Loulou. Dès la première scène, Nelly rit au nez de son mari, tournant ainsi en dérision sa crise de jalousie, ridiculisant la gifle qu’il vient de lui asséner. Alors que le rire aura un rôle central dans la relation entre Nelly et Loulou, la scène de l’hôpital relevant même du sketch comique, André en sera toujours exclu. Guy Marchand, lui aussi très juste dans le rôle du mari trompé, a perdu d’avance puisqu’il est du côté du discours, de la parole : chacune de ses initiatives tombera à plat. Par petites touches, Maurice Pialat capte à merveille le ressenti d’un homme destiné à être de trop, et le malaise qui en découle chez lui, autant que chez le spectateur – ce que l’on retrouvera également dans Le Garçu (1995) à travers la maladresse touchante du père dépassé.

 
 
 
Cette capacité qu’a le cinéaste de construire ses personnages et son histoire autour de scènes éclatées, dans le temps et dans l’espace, est ce qui donne le caractère si délicatement vaporeux de Loulou. Pialat jongle entre les quelques lieux parisiens où vivent ses personnages : un appartement bourgeois, des chambres pour l’amour, un bistrot pour l’alcool et des rues pour tituber. Le temps défile sans grands repères, Loulou picole et ne travaille toujours pas. Puis un dimanche l’on quitte Paris, le temps d’un repas en famille, peut-être la séquence la plus forte de toute la filmographie de Pialat tant tout nous apparaît alors d’une simplicité évidente. Il semble que la démarche même du cinéaste soit tournée vers la captation de ces purs moments de grâce, qu’il effleure à quelques reprises dans son œuvre. 

Au final, cette narration décousue, construite autour de la mise en dialogue de scènes sporadiques, qu’elle résulte de choix cinématographiques ou de contraintes techniques (on sait que Depardieu et Huppert ont quitté prématurément le tournage), sert merveilleusement le film ; celle-ci lui apporte une telle légèreté que la noirceur grandissante du propos s’en trouve adoucie. En effet, au-delà des rires se profile très vite l’incapacité croissante du couple à se comprendre, tout comme la persistance d’un gouffre social les séparant, qu’incarne l’inertie de Loulou sur le plan professionnel et que renforce l’arrivée d’une grossesse inattendue. Pourtant en bout de route, si l’on quitte Loulou et Nelly toujours aussi perdus, chancelant dans la noirceur d’une ruelle, on se trouve même en droit, au regard du ton du film et face à cette belle fin ouverte, d’espérer pour eux des lendemains qui chantent.

(1) Ciné regards, Depardieu et Pialat lors du tournage de Loulou, reportage de André Maurice, diffusé sur France Régions 3, 29 avril 1979, 1 minute.
(2) Cinéma cinémas, Pialat, 17e jour de tournage du film Police, reportage de Anne Andreu et Claude Ventura, diffusé sur Antenne 2, 05 décembre 1984, 12 minutes.

Titre original : Loulou

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Durée : 110 mn


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