Au moment où il réalise L’Or de Naples, Vittorio De Sica se trouve dans une impasse. Le mouvement néoréaliste touche à sa fin et pire, se voit fustigé pour l’imagerie misérabiliste et le pessimisme qu’il dégage à l’étranger d’une Italie encore en reconstruction. La Palme d’or promise à Umberto D au Festival de Cannes 1952 est ainsi bloquée par des pressions italiennes et Giulio Andreotti alors secrétaire d’état au tourisme et au spectacle accusera publiquement De Sica de trahison à la patrie par la vision qu’il donne du pays à travers ses films. Peinant désormais à trouver des financements pour ses projets et rencontrant les pires difficultés lorsqu’il les mène à bien (le remontage radical de David O Selznick de son beau Station Terminus croisant néoréalisme et mélo hollywoodien) De Sica devra se réinventer sans se renier s’il veut poursuivre son œuvre. L’Or de Naples, adaptation d’un recueil de nouvelle de Giuseppe Marotta lui en donnera l’occasion. Entouré de l’auteur de son fidèle scénariste Cesare Zavattini, le réalisateur offre en six sketches (cinq directement adaptés du livre et un récit original) une veine plus contrastée que la noirceur d’antan, la comédie s’entremêlant constamment au drame tout en gardant le regard si chaleureux et bienveillant envers les petites gens qui le caractérise.
Le Caïd
Dix ans plus tôt, Don Saverio Petrillo (Totò) et sa femme Carolina (Lianella Carell) crurent bien faire en proposant l’hospitalité au caïd Don Carmine Savarone (Pasquale Cennamo) récemment veuf. Le problème, c’est qu’il n’est jamais reparti et impose désormais sa loi au sein du foyer, se faisant repasser ses chemises par Madame, prenant le meilleur siège à table et imposant ses goûts culinaires quand il ne reçoit pas ses amis douteux sur place. Il y a là sans conteste matière à grosse farce mais De Sica reste dans la retenue, le rire naissant plus de la présence comique de Totò en chef de famille frustré et de l’imposante présence bourrue de Pasquale Cennamo en caïd sans gêne que des situations. On reste donc dans un registre feutré et quotidien de cette petite famille parasitée par un intrus tyrannique. Le salut semble à portée de main quand une maladie grave semble diagnostiquée au truand mais c’est bien l’union et l’amour de cette famille qui leur permettront de se débarrasser du gêneur dans un beau final.
Pizza à crédit
Sofia (Sophia Loren) quitte les bras de son amant pour retrouver son mari pizzaiolo (Giacomo Furia) qui la croit à l’église. Problème elle a oublié sa bague chez son amant et fait croire à son époux qu’elle l’a égarée dans la pâte à pizza. Ils vont donc remonter la piste des pizzas vendues durant la matinée pour retrouver le bijou. Un sketch en forme d’ode à Sophia Loren plus gironde et malicieuse que jamais dans cet amusant vaudeville. Grand moment lors de la mémorable séquence de deuil où le couple n’ose interroger le client joué par Paolo Stoppa qui vient de perdre sa femme. Le pathétique (Stoppa en faisant des tonnes en mari éploré) côtoyant la franche hilarité, que ce soit la gêne des époux où les outrances calculées de Stoppa menaçant de se suicider en se jetant par la fenêtre mais freinant son geste au dernier moment afin d’être retenu.
Un enfant est mort
Un des plus beaux sketches du film et un de ceux où De Sica a le plus mis de lui-même puisqu’il n’est pas directement adapté du recueil de nouvelle. Une mère (Teresa De Vita) enterre son enfant et l’on suit à travers les rues de Naples le cortège funèbre dans un silence pesant. Jetant des sciuscias (selon la coutume napolitaine voulant que le disparu distribue des bonbons à ses amis) sur son parcours, la mère attire bientôt tous les enfants du quartier autour du cortège, s’empressant de ramasser les friandises au sol. Leurs activité rappelle à la mère accablée celle que n’aura plus celui qui est transporté dans un cercueil, l’émotion contrastée mélange la tristesse à l’allégresse de ces gamins qui arrache un sourire à l’endeuillée. De Sica atteint des sommets d’émotion avec cette courte histoire quasi muette avec laquelle il aurait souhaité conclure le film. Ce ne sera pas le cas et le sketch sera même coupé lors de la sortie française pour sa trop grande noirceur.
Les Joueurs
Joueur invétéré, le comte Prospero B. (Vittorio De Sica) est serré de près par son épouse qui ne daigne pas lui donner un centime et à transmis le mot aux domestiques refusant de lui prêter de l’argent. Le malheureux en est réduit à jouer à la scopa (le fameux jeu de cartes rendu célèbre par L’Argent de la vieille de Comencini) avec le jeune fils de son gardien d’immeuble. Triste d’être enfermé au lieu de s’amuser dehors avec ses amis, le garçonnet n’en est pas moins un adversaire redoutable qui humiliera jusqu’au bout un De Sica furieux qui met en jeu toute ses richesses. Le réalisateur est toujours aussi bon pour diriger les enfants avec ici un gamin espiègle et déterminé, la farce enlevée véhiculée par un De Sica cabot ayant toujours son contrepoint mélancolique avec ce le regard lointain du garçonnet observant par la fenêtre ses copains avec qui il préfèrerait être.
Teresa
Le plus beau sketch du film avec Un enfant est mort. Teresa (Silvana Mangano) est une prostituée qui s’apprête à quitter sa maison close et cette vie pour se marier. Un jeune homme riche (Erno Crisa) l’ayant remarquée mais n’ayant osée l’aborder l’a demandée en mariage via un entremetteur. La beauté juvénile et la candeur de Silvana Mangano illumine les séquences de mariage même si à travers la froideur du fiancé on devine un motif moins noble à ce mariage, ce qui se vérifiera par un terrible aveu final. Silvana Mangano est absolument magnifique de dignité et de douleur contenue face à son humiliation, et la dernière scène où elle hésite à (paradoxalement) retrouver sa dignité en retournant à son ancienne vie et ironiquement se rabaisser par une respectabilité de façade est d’une intensité rare. On aurait presque aimé voir cette intrigue prolongée en long-métrage tant l’émotion est forte.
Le Professeur
Don Ersilio Miccio (Eduardo De Filippo) tient un bien curieux commerce, vendant des leçons de sagesse pour les problèmes quotidiens de ses concitoyens. Un sketch qui conclut le film sur le film sur une note plus légère grâce à la truculente prestation du dramaturge Eduardo De Filippo, tout en malice dans ses conseils et ses bons mots qui auront du mal à passer en vf (les variantes entre pernacchio et pernacchia pour les différentes manières d’imiter le bruit de la flatulence, traduit par le plus quelconque terme pantalonnade), ce sketch ayant également été supprimé lors de la sortie française.
Un brillant film à sketchs pour un De Sica transposant son humanisme dans des sphères plus lumineuses (même s’il signera des comédies bien plus franches par la suite) et capturant à merveille l’atmosphère si particulière de cette ville de Naples qu’il connaît bien. Le générique nous aura indiqué que « l’or de Naples », c’était l’espérance et la patience, vertus qu’il n’aura cessé d’accorder aux personnages du film quel que soit le ton adopté.