S’adressant à tout type de spectateur – les moins connaisseurs se feront un plaisir de découvrir l’histoire du duo parsemée d’anecdotes -, l’auteur évoque l’émergence de Laurel et Hardy ainsi que leur place et leur reconnaissance au sein de l’histoire du cinéma. Le duo est tout de même ancré dans la mémoire des spectateurs depuis maintenant 80 ans. Jean Tulard nous rappelle également les deux courants qui prenaient place au sein du cinéma burlesque : Mack Sennett et Hal Roach, tous deux très différents dans leur vision et leur manière d’appréhender la comédie. Laurel et Hardy, eux, appartiennent à l’école d’Hal Roach, qui met en avant l’acteur et des personnages reconnaissables entre tous, à l’allure et aux traits de caractère bien typés, capables de vite s’imposer dans toutes les mémoires. Laurel et Hardy trouveront très vite leur propre recette : leur comique reposera sur des sketches construits avec enchaînements et progression, entre improvisations et chutes splendides.
L’ouvrage de Jean Tulard se scinde ensuite en plusieurs parties. Au sein du premier chapitre, on découvre différentes conversations, dramatiques radiophoniques retranscrites et témoins d’évènements qui eurent lieu tout au long de la vie du célèbre duo. La première discussion agit comme un brainstorming entre Hal Roach et Leo McCarey, qui réfléchissent ensemble à créer un nouveau comique devant à la fois être facilement reconnaissable, pas trop maniéré, différent de Chaplin mais capable en même temps de pouvoir rivaliser avec lui – « Le public évolue. Le cinéma n’est plus une attraction foraine » (1). C’est dans l’esprit de McCarey que germera l’idée du couple, du duo. Vient ensuite la rencontre entre Stan Laurel et Oliver Hardy, chacun se présentant à tour de rôle puis signant un contrat avec Hal Roach Studios. Il faudra attendre quelques films ratés ou, du moins, imparfaits, et l’arrivée sur les écrans de Les Forçats du pinceau (Fred Guiol, 1927), pour que le duo formé décolle enfin. Le lecteur prend place au sein de la conversation entre Roach, Laurel et Hardy concernant ce premier succès et participe, par la même occasion, à leurs réflexions par rapport à la mise en scène et à ce qu’ils transmettent aux spectateurs au travers de leur gestuelle. Il faut que l’un complète l’autre pour fonctionner mais, en même temps, ils se doivent d’être vigilants et de ne laisser transparaître aucune ambiguïté – « Il importe de prendre le contre-pied de nos rivaux au lieu de les imiter. Nous allons lancer une autre forme de burlesque » (2). Souvent initiateur des gags, Laurel rédige les scénarios tandis que Hardy est bien meilleur en pratique.
Nous traversons ainsi les années jusqu’en 1928 et l’apparition du parlant : Le Chanteur de jazz (Alan Crosland, 1927) constitue un immense succès et un évènement marquant dans l’histoire du cinéma. Roach est pris de panique. Les dialogues comiques n’étant pas de son ressort, pour lui, le burlesque ainsi que le duo qu’il a créé sont finis. C’est Laurel qui le rassurera en assurant que l’arrivée du son ne constitue pas une menace mais un atout. Ils créeront des gags sonores qui ne feront qu’enrichir leur comique déjà bien rôdé. Laurel a déjà compris la subtilité que le cinéma parlant pourra apporter à leurs sketches, leur permettant désormais de suggérer les choses plutôt que de les montrer. Le lecteur est ensuite témoin d’une confidence, datant de 1932, de Laurel à Hardy. À la fin de l’année 1931, ils ont déjà réalisé 49 courts métrages, à raison d’environ un par mois. Laurel a besoin d’une pause, Hardy décide de le suivre. Ils partent en voyage à travers l’Europe et en reviennent abasourdis. Le duo, d’une popularité extrême, créait, partout où il passait, la cohue. Après avoir pris conscience de leur succès démesuré et du nombre incroyable de leurs admirateurs, ils décident de revoir leurs ambitions en réalisant, par exemple, des films plus longs. C’est ainsi que leur carrière atteint son apogée en 1938 avec Têtes de pioche (John G. Blystone).
De la même manière, les dialogues continuent… jusqu’à la fin du duo. Ces bouts de conversations, accompagnés de paragraphes expliquant le déroulement des évènements, sont une bonne manière de raconter leur histoire et surtout, donnent envie d’en apprendre plus.
Pour finir, Jean Tulard liste ensuite, de façon plus succincte et moins captivante, les différentes œuvres consacrées ou rendant hommage au duo de comiques. Il faut dire que l’ouvrage de Jean Tulard agit plus comme un appendice que comme une véritable référence (3), le parti pris étant de proposer au lecteur un aperçu, bref mais convenable, du mythe de Laurel et Hardy. Et cela fonctionne, il donne envie de s’y intéresser plus amplement. Laissons à l’auteur le soin de conclure : « Je crois que les burlesques américains sont sous-estimés et surtout Laurel et Hardy. Car Laurel et Hardy, on les oublie, et pour les mettre plus en valeur, on les colorie, ce qui est absurde. Laurel et Hardy, ce sont des films qu’il faut voir en noir et blanc » (4).
Quand Laurel rencontra Hardy : Naissance d’un mythe cinématographique de Jean Tulard, Éditions SPM, 96 pages – Disponible depuis le 15 octobre 2013.
(1) Hal Roach, dans Jean Tulard, opus cité, p. 16.
(2) Stan Laurel, ibidem, p. 21.
(3) Jean Tulard nous indique ainsi un ouvrage indispensable : la biographie de Laurel et Hardy par Roland Lacourbe, Laurel et Hardy ou l’enfance de l’art, Ramsay, coll. Ramsay Poche Cinéma, 1989, 269 pages.
(4) Olivier Barrot, Jean Tulard : guide des films, Un livre, un jour, diffusé sur France 3, 20 avril 2002.