Livre sur Emile Reynaud, sa vie et ses travaux

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« La Vérité sur l’invention de la projection animée : Emile Reynaud, sa vie et ses travaux » de Maurice Noverre

Anti-lumiériste, défenseur de Méliès et de Reynaud, Maurice Noverre est un des premiers historiens du cinéma. 90 ans après son écriture, son ouvrage ressort des oubliettes et se trouve enfin entre nos mains.

Inventeur de la bande perforée, du praxinoscope et de son successeur le théâtre optique, Émile Reynaud (1844-1918) est aujourd’hui considéré, à juste titre, comme l’un des fondateurs de l’art cinématographique et, plus justement, du dessin animé. Quelques temps avant les frères Lumière, il fut le premier à projeter sur grand écran des images animées.

Cependant, et surtout dans les années qui suivirent la naissance du cinéma, le travail d’Émile Reynaud ne fut, bien souvent, pas reconnu à sa juste valeur, et son mérite, confisqué par la renommée acquise très vite par les frères Lumière pour beaucoup considérés comme les véritables inventeurs du septième art. Au début du XXe siècle, c’est contre cette injustice que la voix d’un certain Maurice Noverre décidera de s’élever. L’homme consacrera sa vie à défendre celui qu’il considère comme un martyr et rassemblera ses années de recherche en un ouvrage consacré à la vie et aux travaux d’Émile Reynaud. Ce sera La Vérité sur l’invention de la projection animée : Émile Reynaud, sa vie et ses travaux, que les gens découvriront en 1926. Tenant des propos tenaces et infiniment bornés – en considérant notamment les frères Lumière comme des traîtres -, Maurice Noverre créera une véritable controverse.

C’est donc cet ouvrage, inconnu pour la plupart des cinéphiles, que Sébastien Roffat, avec l’aide des éditions L’Harmattan, décide de remettre sur le devant de la scène. Nous saluons l’initiative de cette réédition qui comblera bon nombre de curieux. La préface, brève mais captivante, est rédigée par Sylvie Saerens, l’arrière-petite-fille d’Émile Reynaud, et évoque la passion de Noverre pour l’inventeur du théâtre optique. L’auteur n’a jamais rencontré l’inventeur mais n’a jamais perdu sa motivation et sa hargne tout au long de ses années de recherche. Cette hargne lui fera défaut car, comme l’indique Sylvie Saerens, Noverre était beaucoup trop borné et « son parti pris polémique sur les origines du cinéma va l’entraîner à négliger certaines pistes à une époque où les témoins n’ont pas encore tous disparu. Il va notamment passer à côté du témoignage d’André Reynaud, qui a pourtant travaillé à temps plein avec son père pendant dix ans » (1). Malgré tout, par son immense travail de recensement et de recherche, son ouvrage reste un outil d’informations et de curiosités.

Gaston Tissandier, « Le Praxinoscope-Théâtre », La Nature n°349 (7 février 1880). Gravure de Gilbert et Perot

 

L’introduction, présentée par Sébastien Roffat, est riche et complète, apportant au lecteur un avis censé, analytique et plein de recul sur un auteur, un sujet et un ouvrage très peu connus. Difficile, donc, autant pour le lecteur lambda que pour le cinéphile averti, de se forger facilement une opinion sur les propos de Maurice Noverre, qui soutient et défend envers et contre tout Émile Reynaud jusqu’à le proclamer seul et unique inventeur du cinéma. Or la naissance du septième art ne vaut pas comme l’invention d’un seul homme, mais comme la somme de différentes trouvailles et d’innovations, fruit de l’esprit de différents hommes, dont fait partie Émile Reynaud, au même titre que Jules-Étienne Marey, Thomas Edison et, plus tard, les frères Lumière. Ce sont, pour ainsi dire, des précurseurs. Malheureusement, l’auteur est aveuglé et réducteur, et c’est sa réputation ainsi que ses propos qui en pâtissent. Cependant, les écrits de Maurice Noverre possèdent leur importance et ont contribué à faire reconnaître Émile Reynaud « si ce n’est comme le véritable inventeur du cinématographe – du moins comme un pionnier de l’animation » (2). Père du dessin animé, voilà un titre tout de même glorieux et une certaine justice rendue.

 

Gaston Tissandier, « Le Praxinoscope à projection », La Nature n°492 (4 novembre 1882). Gravure de Louis Poyet

 

Suivant l’introduction, qui permet de bien poser le contexte, l’ouvrage même de Maurice Noverre se décline en différentes parties qui sont autant d’axes de recherche sur la vie d’Émile Reynaud. En tout premier lieu, le lecteur découvrira la lettre-préface de Victor Collignon, directeur de l’Institut national des sourds-muets de Paris et ami d’Émile Reynaud. Cette lettre, pleine d’emphase et surtout complètement réactionnaire, ne vaut le détour que pour certaines répliques qui prêtent aujourd’hui plus à sourire qu’autre chose. Pour Monsieur Collignon, « grâce à Maurice Noverre, le monde entier apprendra que l’inventeur des projections animées et de la cinématographie à mouvement continu du film est Émile Reynaud, un Français », considérant l’ouvrage de Maurice Noverre comme une « œuvre de réparation nationale » (3). Ce manque de recul nous effraie mais nous donne, en même temps, envie de continuer la lecture.

Nous nous plongeons ensuite dans l’enfance d’Émile Reynaud, guidée par l’éducation à la fois rigoureuse et pleine de justesse d’une mère qui l’éveillera aux différentes curiosités de la vie. Le jeune Émile Reynaud étudie la photographie puis devient projectionniste. C’est en 1873 qu’il donne ses premières conférences sur la photographie, et qu’il commence à accompagner ses cours de projections lumineuses servant ses expériences. Le but d’Émile Reynaud, comme le répètera souvent l’historien, est d’« instruire en s’amusant » (4).


Gaston Tissandier, « Le Théâtre optique de M. Reynaud », La Nature n°999 (23 juillet 1892). Gravure de Louis Poyet

 

S’en suivent les années de genèse du praxinoscope et du théâtre optique. En 1896, Reynaud travaille sur ce que Maurice Noverre appelle la photo peinture animée, avec laquelle il créera les premières œuvres cinématographiques ou, du moins, les premiers dessins animés. On passe ainsi au théâtre optique et à ses projections lumineuses – que Reynaud nommera Pantomimes lumineuses -, que les premiers spectateurs du cinéma pouvaient découvrir dans le sous-sol du Musée Grévin. La suite de la vie d’Émile Reynaud sera moins glorieuse : contrats rompus, mal de reconnaissance, arrivée des frères Lumière.

Pour en apprendre plus, à la fois sur Émile Reynaud et sur l’histoire du cinéma, plongez-vous dans cet ouvrage enfin sauvé des oubliettes.



La Vérité sur l’invention de la projection animée : Émile Reynaud, sa vie et ses travaux
de Maurice Noverre, Éditions L’Harmattan, collection Cinémas d’animation, 290 pages – Disponible depuis le 9 octobre 2013.

(1) Maurice Noverre, opus cité, p.8.
(2) Ibid., p.39.
(3) Ibid., p.51.
(4) Ibid., p.99.


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