La course au récit
Dès le début du film survient la voix-off qui nous accompagnera tout du long. Elle commente absolument tout : des photos darchives de la Première Guerre mondiale aux états dâme de Joe Coughlin (Ben Affleck), ex-volontaire dans le corps expéditionnaire américain devenu petit gangster qui se refuse à tuer. Rien néchappe à son désir de parler : la guerre des gangs, les femmes, la Floride où Joe atterrit
Mais à force de parler, la voix-off oublie ce quelle avait posé en préambule. Joe sétait juré de ne plus jamais tuer après la guerre ? Quimporte, le serment est violé. Joe avait promis de venger Emma Gould (Sienna Miller) ravie par Albert White (Robert Glenister) ? Il oublie bien vite son grand amour pour se jeter dans les bras de Graciella (Zoe Saldana).
À force de regarder sa montre pour un film qui ne dure pourtant pas plus de deux heures, on sinterroge sur les raisons de son ennui. Et on comprend rapidement : multiplier de manière mécanique des séquences sans guère dintérêt intrinsèque ruine la bonne vieille unité daction. Sans lériger en sacro-saint principe, cette loi artistique pousse cependant à concentrer le récit, et donc à en explorer les nuances, là où Live By Night se contente dune vision du monde on ne peut plus simpliste. À cause du rythme tambour battant imposé par une voix-off qui veut tout dire, le film na pas le temps de déployer autre chose que des clichés. Oubliée latmosphère étouffante de Floride, vive les paysages de carte postale où le soleil couchant se mire sur les marais ; oublié le respect de la vie humaine que professait Joe, mieux vaut que la caméra sattarde sur le postérieur de Graciella.
En tant que tel, Live By Night nest quun énième film de gangster. Mais on attendait plus de Ben Affleck, qui savait pourtant très bien dépasser la mécanique narrative pour explorer un environnement social (Gone Baby Gone – 2007, The Town – 2010) et psychologique (Argo, 2012). Sa filmographie de réalisateur réussissait jusquà présent le pari de tenir séquences daction effrénées et descente dans les profondeurs des sentiments et des sensations, ce que Live By Night, obnubilé par la surface de la narration, ne fait pas.
Que reste-t-il alors au milieu de cet immense éparpillement du récit ? Ben Affleck. Indétrônable, son visage anguleux occupe la quasi-totalité des plans. On pourrait dire de Live By Night quil sagit dune autobiographie tant le réalisateur se complaît à rejouer le vieillissement de sa figure, de sa jeunesse à la maturité.
Mais il sagit plutôt de lauto-glorification dun auteur souvent taclé pour son manque de charisme à lécran. Pour compenser cette réelle absence, Affleck fait le vide autour de son propre personnage. Ne gravitent autour de Joe Couglin que des pantins sans âme : caricatures de gangsters italiens et irlandais, métèques oubliés, Ku Klux Klan de pacotille et femmes qui nont pas dautre rôle que de servir daides au héros mâle blanc.
Cest bien là le dernier problème de Live By Night. Le film entend célébrer la mixité sociale et ethnique de la Floride des années 30. Or, qui est encore à la source de cette bienheureuse union ? Ben Affleck. Qui na décidément de cesse de vouloir sunir à sa propre image.