Fonctionnant selon des flashes back et un entretien reconstitué entre Lech Wałęsa (incarné avec un mimétisme confondant par Robert Więckiewicz) et la journaliste italienne Oriana Fallaci (Maria Rosaria Omaggio), L’Homme du peuple dépeint l’ascension du charismatique électricien de Gdańsk depuis le 14 décembre 1970, date à laquelle les ouvriers des chantiers navals de Gdańsk se mirent en grève en opposition à l’augmentation des prix des denrées alimentaires, jusqu’au 15 novembre 1989, 6 jours après la chute du Mur, lorsque Lech Wałęsa lut un discours et déclama son fameux « Nous, le peuple » devant les membres du Congrès des États-Unis. Entre-temps, les évènements d’août 1980, pour les mêmes raisons que celles de 1970, que Wajda a pu suivre au cœur depuis le vase-clos de ces mêmes chantiers navals de Gdańsk (en résultera L’Homme de fer en 1981), des grèves de solidarité qui pullulent dans tout le pays, le gouvernement qui doit céder et enfin, la fondation par Lech Wałęsa et Anna Walentynowicz du syndicat libre Solidarność, dont nous célébrons cette année le 25e anniversaire.
Hagiographique de par son intention même, L’Homme du peuple fait pourtant un portrait contrasté de Lech Wałęsa, homme humble, roublard et déterminé, constamment partagé entre sa croix et sa famille, sa femme Danuta (Agnieszka Grochowska) et ses enfants, auxquels il doit en permanence renoncer. Aussi, si la beauté inventive et romantique n’est certes plus celle de ses premiers films (Génération, 1955 ; Ils aimaient la vie, 1957 ; Cendres et diamant, 1958), davantage liés à la Pologne de la Seconde Guerre mondiale, la fraîcheur demeure toutefois intacte au regard des deux autres films formant la trilogie de l’Homme, L’Homme de marbre (1977) et L’Homme de fer (1981). Si L’Homme de marbre, retour sur film des années du stalinisme, sut rester didactique afin de pas être morcelé par la censure, L’Homme de fer fut lui cathartique, autant pour les ouvriers de Gdańsk, qui se le sont totalement accaparés, que pour Wajda, qui a longtemps regretté de n’avoir pas plus tôt « reflété le climat et exprimé les espoirs » (1) de son pays. L’Homme du peuple, procédant du même découpage clairvoyant et optimiste, entre images d’archives et fiction reconstituée (2), voit enfin la mise en perspective de tous les belligérants engagés dans ce conflit long de deux décennies complétée : pouvoir en place, milice, opposition, URSS, Vatican – en plein engouement populaire depuis l’élection du pape Jean-Paul II en 1978.
À ce titre, il va sans dire que seul Andrzej Wajda aurait aujourd’hui pu réaliser ce montage, de par son expérience, tutélaire, ses fonctions associatives et institutionnelles assumées et surtout, de par sa connaissance intime et parfaite des évènements. Film rock et jovial de par sa bande originale, L’Homme du peuple, s’il a déjà fait l’objet de critiques en Pologne en raison de sa lecture univoque et de l’amitié liant Wajda et Wałęsa, n’en demeure pas moins une œuvre de transmission revendiquée, à la fois commémorative et dédiée à la jeune génération, celle qui n’a plus de combats aussi justes à porter mais qui, à défaut, doit comprendre et surtout mesurer la grandeur de ceux remportés par leurs aïeux.
* Le journaliste Winkel (Marian Opania) dans L’Homme de fer (1981).
(1) Klaus Eder, Klaus Kreimeir, Maria Ratschewa, Bettina Thienhaus, Andrzej Wajda, L’Atalante, 1980, p.89.
(2) Signalons à ce propos l’emploi de propres films de Wajda, L’Homme de fer et L’Homme de marbre, ainsi que de raccords opérés entre eux et L’Homme du peuple.