Deuxième volet de la saga de Clint Eastwood dédiée à la bataille d’Iwo Jima, le film déclare, dès ses premières images, son projet : opérer un renversement de point de vue ; nous faire revoir les mêmes plans, pour nous montrer le même champ (de bataille) à travers les yeux des Japonais. Replacer la caméra là où les Américains avaient hissé leur drapeau, et observer en posant son regard sur la subtile ligne qui sépare, au milieu de l’écran, la terre de la mer : cette frontière non traçable entre deux entités complémentaires.
Le récit adopte le même procédé que le film précédent. Un grand flash-back initial déclenche l’histoire. Un groupe d’archéologues découvre un sac dans les cavernes creusées par un soldat japonais : on retourne en 1944, parmi les troupes de l’Empereur, quelques mois avant l’arrivée des Américains. Une fois de plus, Eastwood vise l’identification aux personnages : la première partie du film est consacrée à isoler quatre personnalités parmi les soldats, contrepoids aux marines choisis pour le premier film. Au fur et à mesure que l’on s’approche d’eux et que l’on commence à se familiariser avec leurs caractères, on est porté à croire que l’intention de la scénariste était de décliner quatre différentes visions de la guerre en tant qu’élément de défense de son propre pays. Comme on pouvait s’en douter, ce nouveau point de vue (celui des Japonais) ne pouvait faire abstraction de thèmes patriotiques, le récit suivant alors les conséquences générées par la logique qui porte chaque personnage et, procédant par exclusion, nous amène à deviner la pensée du cinéaste par rapport au sujet.
Le lieutenant Ito incarne l’esprit nationaliste japonais tel que le conçoivent les Occidentaux : il se bat aveuglement au nom de la patrie, et le non-sens de ses actions le porte vers une mort aussi vaine que ses principes (il lui sera même refusé l’honneur de se suicider pour son Pays en faisant sauter un tank). Il s’éteint lentement, consommé par la soif et le soleil : lui qui obligeait les soldats à sacrifier inutilement leur vie au nom de son idéal, finit par n’être qu’un cadavre parmi d’autres, sans droit de sépulture. Plus complexe est le rapport des deux protagonistes du film, le général Kuribayashi et le baron Nishi. Ayant vécu tous les deux aux Etats-Unis avant la guerre, ils ne haïssent pas leurs adversaires, même s’ils sont contraints d’agir en soldats et d’appliquer malgré eux la logique féroce qui présente l’Amérique comme l’ennemi principal. Ces deux personnages sont porteurs d’un fort message d’égalité mais ce choix les conduira à la mort. L’aveuglement du baron Nishi acquiert sous cet angle une valeur quasi symbolique : il savait, mais il ne voulait pas voir.
Sa fin arrive quand il prend conscience de son propre « aveuglement », en lisant la lettre qu’un prisonnier américain avait écrite à sa mère. Une lettre banale, comme toutes les autres qu’on voit rédigées par des soldats japonais durant les longs jours de la bataille. Lettres qui parlent d’amour, de sentiments, de souvenirs, de paix et du quotidien, si éloignés de cette île lunaire où a lieu le combat. Ces lettres, qui d’ailleurs donnent le titre au film, agissent par contraste, en créant un hors champ idéal, montrant en flash-back, dans les moments de pause, l’alternative à la mort, fin certaine qui semble attendre les combattants des deux champs.
Il n’est pas anodin de constater que le seul des soldats japonais qui puisse se sauver soit au final Saigo, un humble boulanger qui n’a que le désir de revoir sa femme et sa fille, née pendant qu’il était à Iwo Jima. Dans son regard, on lit la certitude que la guerre n’est rien d’autre qu’une antichambre de la mort. Il en était déjà conscient quand il a dû dissimuler sa douleur, au moment de la convocation pour le service militaire, il en devient certain quand il voit mourir ses compagnons. La vanité de leur mort l’effraie, soit portée par les Américains ou, encore plus, par eux-mêmes. Le détail de la main ouverte et sanglante de son ami qui tient les photos de sa famille après avoir fait hara-kiri laisse assez peu de marge d’interprétation, même sur l’opinion du réalisateur.
Eastwood ne se prive pas d’introduire des séquences très violentes comme s’il cherchait à restituer la cruauté de la guerre au plaisir des spectateurs, portés par une histoire prenante, une photographie bien soignée, des personnages romanesque. On se doit de lui reconnaître l’habilité, déjà mise à l’épreuve avec Mémoires de nos pères, de filmer en équilibre sur le subtil fil d’une représentation spectaculaire des combats sans jamais tomber dans la spectacularisation de la guerre.