Les Sans-Espoir

Article écrit par

Ressortie des « Sans-Espoir », film historique lumineux qui illustre sobrement l´humiliation par les plus forts, et l´impuissance des faibles.

Ce film de 1965 au titre hongrois imprononçable, Szegénylegények, a été présenté à Cannes Classics cette année : sa ressortie en salles en version restaurée est un mini-événement, tant il différe de toute la production postérieure du célèbre metteur en scène hongrois, récemment décédé. Dans un superbe noir et blanc, qui n’a rien à envier à Pasolini et au cinéma italien de ces années-là, Les Sans-espoir évoque une période sombre de l’empire austro-hongrois des années 1849. Connu pour ses magnifiques plans séquences qui ont révolutionné en quelque sorte le cinéma hongrois et mondial, par ce qu’on appellera le « Nouveau cinéma hongrois », Miklós Jancsó va ici jusqu’au bout de sa démonstration d’un pouvoir despotique, et fait bien sûr penser à la période noire du communisme que les pays de l’Est connaissaient alors. Le film fut présenté à Cannes par le propre fils du cinéaste, Miklós, et il explique ainsi la genèse de cet opus : « Les Sans-espoir est né de mon père et du scénariste Gyula Hernádi pour créer un film historique qui, par sa forme et sa narration, représenterait la nature complexe du pouvoir. Ils en avaient assez de ces films historiques, grossiers, sur l’héroïsme et la diabolisation. Parler d’une révolution manquée (1849), était donc leur outil pour fournir une toile de fond pour une autre tentative futile vers la liberté (1956). Et, ce faisant, ils ont réussi à exprimer le caractère essentiel du pouvoir et sa qualité autonome. »

Au-delà de ses grandes qualités plastiques, le film est malheureusement de plus en plus d’actualité car, outre qu’il démontre la duplicité des dirigeants, il offre un beau tableau de la manière dont le peuple est manipulé. Les Sans-espoir pourrait même servir de métaphore à « l’humiliation par les plus forts, et l’impuissance des faibles… », ainsi que le développait encore le fils du réalisateur lors de la présentation du film dans la salle Buñuel du Palais des festivals. Il ne va pas bien sûr sans évoquer les films qui lui succéderont et lui rendront hommage, tels ceux de Bela Tarr entre autres. C’est dire qu’il ne s’agit pas d’un film facile et distrayant ; nombreux furent les spectateurs à quitter la salle, mais des images vous resteront à jamais, comme celles d’une jeune femme nue, cravachée, humiliée et dont on apprendra peu après la mort, en off. Un beau film grave, qui met un point d’honneur à rester magnifique tout en dénonçant la société, comme surent le faire si bien les cinémas des pays de l’Est et dont on devrait s’inspirer de nos jours pour redonner du souffle au cinéma européen, voire mondial.

Titre original : Szegenylegenyek

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Durée : 95 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…