Les Plus belles années de notre vie

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Beau portrait du difficile retour à la vie civile des vétérans dans ce beau mélodrame.

William Wyler s’inscrivait au cœur des préoccupations de l’Amérique d’alors avec cette poignante vision de la difficile réinsertion des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale. Le problème avait son importance dans un pays devant repartir de l’avant après avoir vécu des années au rythme de l’effort de guerre et c’est d’ailleurs un article du Times paru en août 1944 sur les difficultés du retour à la vie civile des héros de guerre qui donnera à Samuel Goldwyn l’idée de produire un film sur le sujet. Il commandera alors au correspondant de guerre MacKinlay Kantor un script dont celui-ci tirera tout d’abord un roman, Glory for Me (1945), qui sera par la suite réadapté pour le cinéma par Robert Sherwood. William Wyler est tout aussi personnellement impliqué puisque entre 1942 et 1945, il entra dans les forces aériennes pour lesquelles il filma deux documentaires, The Memphis Belle : A Story of a Flying Fortress (1944) et Thunderbolt! (tourné en 1944 et sorti en 1947). Pour le premier, il filma au plus près les manœuvres d’une forteresse volante durant ses missions en Europe et pour le second (co-réalisé avec John Sturges), le quotidien d’une escouade de bombardiers P-47 durant ses campagnes en Méditerranée. Dans les deux cas, Wyler partagea largement les risques des soldats, s’évanouissant durant un vol par manque d’oxygène, voyant disparaître son caméraman et ami Harold J. Tannenbaum dont l’appareil sera abattu et subissant de sérieuses lésions auditives des suites d’une longue exposition au bruit des moteurs. Le réalisateur est donc parfaitement conscient des traumas que ramènent les soldats au sein de leur foyer et cela s’avérera d’autant plus vrai dans les descriptions des troubles du personnage de Dana Andrews, également pilote de bombardier.

 

Le récit s’attarde sur le destin de trois soldats de retour ensemble au sein de leur ville de Boone City. Tout les sépare si ce n’est l’expérience du combat, solide ciment de leur amitié. Le sergent d’infanterie Al Stephenson (Fredric March) retourne à sa femme Milly (Myrna Loy), ses deux grands enfants et son métier aisé de banquier. Le capitaine d’aviation Fred Derry (Dana Andrews) s’apprête lui à retrouver une épouse qu’il a à peine connue avant son départ et aura bien du mal à concilier les prestiges et récompenses acquis au front avec son ancien métier de serveur qu’il ne s’imagine pas reprendre. Enfin, le marin Homer Parrish (Harold Russell) est à la fois le plus frappé et le mieux loti de tous, dans la mesure où revenu amputé des deux mains et arborant désormais deux crochets, il pourra compter sur une famille soudée et sa fiancée l’ayant fébrilement attendu toutes ses années. À travers ses trois personnages, Wyler explore longuement toutes les difficultés pouvant se présenter au niveau intime comme de la vie quotidienne : les décorations qui n’ont plus guère de valeur sur le dur marché du travail, cette inconnue frivole (Virginia Mayo) que l’on a épousée sans trop savoir pourquoi avant de partir pour Dana Andrews, ces jeunes adultes qu’on a laissés bambins et qui n’ont plus besoin de nous, l’épouse fidèle avec laquelle il faut réapprendre à vivre pour Al Stephenson, supporter le regard des autres et discerner l’amour de la pitié chez sa fiancée pour Homer Parrish. Chacun des héros représente une couche de la société américaine, une société qui ne sait que faire d’eux et au sein de laquelle ils ne trouvent plus leur place. Wyler décrit bien cela, notamment dans l’attitude des collègues de Fredric March face aux prêts accordés aux anciens vétérans, celui-ci faisant preuve d’une compréhension s’accordant mal avec son métier. Les nouvelles aptitudes de Dana Andrews parti limonadier et revenu pilote chevronné semblent bien inutiles, le forçant pourtant à revenir à son ancienne condition. Le destin le plus touchant reste celui de Homer Parrish et du complexe qu’il entretient à l’égard de son handicap. L’acteur Harold Russell était réellement amputé des deux mains des suites d’un accident de manipulation d’explosifs et fut donc muni de crochets. Wyler le repéra dans Journal d’un sergent (Joseph M. Newman, 1945), film de l’armée sur la réhabilitation des vétérans, et l’engagea, modifiant ainsi le script où le personnage souffrait au départ de troubles mentaux.

 

Sa poignante prestation lui vaudra l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle parmi les sept récoltés par le film, et même un Oscar d’honneur attribué en amont (et créé pour l’occasion) pour avoir redonné espoir aux vétérans – cette double récompense constituant un exemple unique dans l’histoire des Oscars. Mais à vrai dire, tous les acteurs sont au diapason et excellents. On retiendra surtout un Dana Andrews qui trouve son meilleur rôle en héros déchu cherchant sa voie en ce monde et l’histoire d’amour avec Teresa Wright (parfaite de compréhension et de sensibilité), plus conventionnelle dans son approche mélodramatique que le reste du film mais qui parvient néanmoins à captiver de par la qualité d’écriture et le talent des deux comédiens. La mise en scène de Wyler fait preuve de son brio habituel et parvient à témoigner des tourments intérieurs des héros. On retiendra notamment l’appréhension des trois hommes avant les retrouvailles ainsi que la déambulation de Dana Andrews dans un cimetière de bombardiers, tout aussi obsolètes et inutiles que lui. La belle scène où Homer Parrish fait partager son rituel d’handicapé à sa fiancée pensant la faire fuir est tout aussi forte, tout comme l’échange de regard final où tout se joue sans un mot entre Dana Andrews et Teresa Wright. L’équilibre du casting entre gloires montantes et stars établies, la force de cette thématique et l’éloquence de Wyler firent du film un triomphe critique et public dans ce qui demeure l’un des plus beaux classiques du réalisateur.

Titre original : The Best Years of Our Lives

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Durée : 172 mn


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