Pensant reconnaître son mari, Farzaneh découvre qu’elle a en réalité suivi le sosie de ce dernier, lui-même en couple avec le sosie de .Farzaneh Suis-moi puisque je te fuis ! Qui suis-je puisque je te suis ? De nouveau, après Pig (2021), Mani Haghighi ouvre la boîte de pandore associée à l’irrésoluble quête d’identité. Beaucoup plus posé dans la forme, à l’instar de ses personnages bien plus terre à terre, Les ombres persanes fait également de son mieux pour multiplier les sorties de route, ou, plutôt, pour ouvrir des voies multiples sans les creuser ni jamais les refermer définitivement. Trouble mental passager dû à un traitement pour une grossesse ? Rêve éveillé ? Mise en parallèle de deux destinées possibles ? Des hypothèses parmi tant d’autres qui resteront fort heureusement en suspension. Non pas pour exacerber quelconques effets de suspens, mais parce que la vérité n’est qu’un réel MacGuffin.
Visiblement, Mani Haghighi est toujours à la recherche de son identité d’auteur. Dans Pig, en plus de se payer le luxe d’organiser son propre enterrement, il se dédoublait dans la peau du personnage principal, un réalisateur en stand-by en proie à un tueur en série ciblant les vedettes –réalisateurs plus particulièrement- du cinéma iranien. Une satire lorgnant par l’esprit minimaliste du côté d’Abbas Kiarostami et de Jafar Panahi, sans vraiment les copier ni leur rendre un hommage appuyé. Le long travelling au milieu d’un embouteillage qui ouvre Les ombres persanes fustige à la manière de Saeed Roustaee une société iranienne figée par ses multiples contradictions. La corruption, les pêchés d’orgueil, le mensonge comme arme à double tranchant, l’ombre des thématiques du réalisateur de La loi de Téhéran (2021) plane ici en permanence. Inévitable, la violence physique prend corps mais dénuée de spectaculaire. Mani Haghighi préfère aborder les tourments sous une forme latente et doucereuse, comme sait bien les saisir le cinéma d’Asghar Farhadi, dont il fût le scénariste pour A propos d’Elly (2011). Pourtant présent dans le paysage cinématographique iranien depuis presque vingt ans, et avec cinq réalisations au compteur avant ce dernier, Mani Haghighi souffrirait-il d’un manque de personnalité pour puiser dans les univers de ses contemporains ? Ou, au contraire, son travail serait-il le fruit d’une volonté de fusionner et de frictionner les influences. Et évidemment les genres cinématographiques qui en découlent : romance, policier, réalisme social, onirisme… Bien difficile de classer Les ombres persanes.
« Les acteurs sont l’essentiel du dialogue entre les cinéastes », cette jolie formule de Serge Daney se vérifie avec bonheur dans un cinéma iranien à la vitalité réjouissante et débordante. Après avoir crevé l’écran sous la direction de Saeed Roustaee dans Leila et ses frères (2022), Taraneh Alidoosti et Navid Mohammadzadeh se dédoublent ici d’une manière fascinante. Avec pratiquement aucun artifice, seul des petits ajustements capillaires et des nuances de maquillage, les deux couples se distinguent nettement l’un de l’autre. Une différenciation encore plus frappante pour les personnages féminins dont on peut parfois se demander si c’est la même Taraneh Alidoosti qui nous fait face. Quant à Navid Mohammadzadeh sa ressemblance avec le grand Alberto Sordi ajoute une touche supplémentaire de nostalgie –le cinéma iranien actif présent bien des similitudes avec celui de l’âge d’or de la comédie italienne. Les deux couples faisant preuve de la même retenue –à l’exception des explosions de Mohsen – Taraneh Alidoosti et Navid Mohammadzadeh portent l’art de la nuance vers les sommets. De légères variations touchant aussi bien les intonations verbales que le langage corporel. La psychologie de chaque couple évoluant même au cours du temps. Indéniablement, le film tire sa force de cette qualité d’interprétation, mise en lumière par une photographie faisant la part belle aux clairs obscurs des nuits pluvieuses d’un capitale iranienne plus que jamais captivante.
Disponible sur la plateforme UniverCiné.