« Aucune des révolutions successives qui ont marqué le monde depuis le début de l’ère industrielle n’a été prévue par les futurologues qui en sont toujours réduits à des extrapolations hasardeuses » Pierre Joliot
Prélude d’apocalypse et Armageddon planétaire
Les mondes futurs est une oeuvre d’anticipation qui extrapole un faisceau de preuves concordantes sur le proche avenir pour se livrer à une vaste spéculation uchronique entre 1940 et 2106 . La dérive de cette dystopie en marche vient obérer toute espérance si ce n’est le rêve utopique de conquête spatiale. Les décades de guerre à outrance mènent à la désolation et au chaos sous la gouvernance d’un dictateur fantoche, « le chef » (Ralph Richardson), va-t’en-guerre gesticulant au milieu du naufrage de la cité dépossédée de toutes ressources susceptibles de restaurer sa puissance d’antan. Jusqu’au point où la « maladie errante », régénérescence de la lèpre moyenâgeuse dévaste la population qui régresse à un état primitif de sauvagerie. Lourdement décimée, la ville exsangue laisse la place à une mégalopole souterraine entièrement rebâtie qui renaît de ses cendres telle un moderne phénix. Mais pour quel avenir ? Ou va l’humanité ? S’interroge Welles en oracle prophétique impuissant de désarroi et convaincu de la finitude de l’homme et de la vastitude d’un espace encore inexploré.
1933 : la montée des nationalismes partout en Europe agite la survenance d’une guerre de destruction massive à l’échelle planétaire qui enflamme les imaginations les plus ardentes. Celle du « père de la science-fiction », Herbert George Welles jette l’effroi des perspectives de fins du monde.
Prédictions eschatologiques : les rumeurs de guerre totale défraient la chronique
Habité par des prédictions, Welles imagine en particulier de façon prémonitoire quelque cinq années en amont la réalité historique du blitz londonien avec ses batteries anti-aériennes crachant le feu et les déversement des bombes ennemies pilonnant la ville d’Everytown qui n’est autre que Londontown, point stratégique sur l’échiquier européen.
Les quartiers de la ville résonnent du tumulte de Noël et son carillonnement de cloches, ses chorales à chaque coin de rue surpeuplée. Les chants célèbrent la Nativité tandis que les ménagères s’activent à leurs emplettes et les enfants sont transportés de ravissement devant l’étalage des jouets aux devantures des magasins illuminés.
Ce préambule jette le trouble et la confusion en laissant présager une sourde menace où la démultiplication du mot guerre vient ancrer les esprits dans une certitude inébranlable. Le sensationnalisme des manchettes accrédite cette conscience aiguë d’un danger à l’échelle planétaire dans la clameur retentissante des gros titres qui se déversent comme une vague déferlante sur les paisibles habitants d’Everytown.
Le scientifique Cabal (Raymond Massey)et l’industriel Passworthy (Edward Chapman) se perdent en conjectures tandis que la guerre semble devoir passer par la maîtrise des airs et la menace de destruction bactériologique. Le présent s’éternise et l’avenir projette des perspectives qui ne cessent d’être inquiétantes. C’est la mobilisation générale. Un enfant défile au pas comme un tambour major tandis que se découpent dans l’arrière-plan les ombres portées des troupes armées en marche. William Cameron Menzies est alors un architecte-décorateur de plateau consacré pour ses effets spéciaux sur le tournage du Voleur de Bagdad de Raoul Walsh (1924) et sa direction artistique sur Autant en emporte le vent de Victor Fleming en 1939.
L’autoritarisme visionnaire halluciné de H.G. Welles
La séquence de montage à l’entame du film est très élaborée qui alterne le tumulte assourdissant des rumeurs qui enflent inexorablement dans un embrasement généralisé de la ville et la griserie des préparatifs de Noël. Les déflagrations tonnent dans un ciel blafard lacéré par les projecteurs. Welles a une vision prophétique de ce que sera le blitz londonien et la guerre éclair qui s’ensuivra dans une véritable collision des images.
Tels d’énormes coléoptères, les miniatures de chars d’assaut conçues par le décorateur Vincent Korda viennent renforcer ces images de dystopie annonciatrices d’un Armageddon planétaire .Ramassés en ellipses traumatisantes, les plans saisissants évoquent les albums de bande dessinée futuriste d’Edgar P.Jacobs.
De gros titres alarmistes s’étalent un peu partout comme pour finir de troubler la fête : « le monde est sur le point d’entrer en guerre » affichent banderoles, calicots et manchettes.L’imminence d’une attaque aérienne sans précédents est sur toutes les lèvres.
Le producteur Alexandre Korda a investi Menzies en tant que réalisateur sur ce projet encore intitulé : « Ou va l’humanité ? » et le didactisme autoritaire du scénariste-dialoguiste H.G W.aseptise le film. Se dégage peu à peu l’impression générale que les décors stérilisent les dialogues et les acteurs se livrent à de grandes diatribes pesantes et démonstratives. L’acteur d’origine canadienne Raymond Massey incarne le double rôle du scientifique aviateur John Cabal,l’un des derniers bienfaiteur de l’humanité et son continuateur, émissaire de la civilisation, Oswald Cabal parcourant le monde pour le pacifier à bord d’un aéronef qu’on croirait sorti d’un roman de Jules Vernes.
« Le film s’avéra incroyablement difficile à interpréter commente Massey dans son autobiographie. H.G.Welles avait outrancièrement formalisé les dialogues pour véhiculer ses idées émancipatrices d’eugénisme. Sa méticulosité vigilante et maniaque frisaient l’obsession. Nous étions tout le temps les pantins de Welles ; totalement sous son emprise possessive. »
Tout est bien qui finit bien dans « le meilleur des mondes possibles »
Toutefois, la réalisation cauchemardesque retient cette vérité étrange et inquiétante qui la rend crédible comme si elle insufflait un peu de cette paranoïa apocalyptique de l’époque ; soufflant sur le froid et le chaud des braises d’une période latente mortifère. Les mondes futurs, c’est la projection des angoisses
existentielles d’une ère anxiogène où l’aspect du futur est observé avec un télescope du présent,les coudes reposant sur le passé et les règles de l’éternité se fondant dans l’éternité. Le propre du futur est de s’éterniser comme le film.
Les effets visuels censés montrer la béance d’une guerre totale jouent à plein par leur force suggestive et viennent autrement compenser le déficit dramatique du film.
Welles est littéralement transporté par l’emphase de sa prose prophétique et il décrie la mise en scène de Menziès : «Tous les effets grandioses à la Cecil B de Mille de foules et de fourmilières et la machinerie que vous déployez et sur lesquels vous passez le plus clair de votre temps et dépensez le budget de la production sont efficaces à leur façon mais ne sont pas mon film ».
Menziès façonne un univers avant-gardiste art-déco qui préfigure cette utopie d’un habitat troglodyte futuriste où les spationautes évoluent dans des tuniques de centurions rehaussées de casques oblongs qui les font ressembler à des scaphandriers des temps moderne. Ils vont et viennent en tous sens dans des habitacles aseptisés proches d’un monde orwellien; s’affairant à des tâches répétitives de haute précision.
2036 est une ère de conquête spatiale mais les idées progressistes prônées par Welles se heurtent à l’obscurantisme ambiant. Il imagine expédier un jeune couple dans un vaisseau spatial en le catapultant par un canon spatial faisant sienne la thèse scientiste de Jules Verne. Les ennemis de la civilisation grondent et veulent détruire le canon spatial dans un sursaut de révolte contre cette marche vers le progrès. Les guerres incessantes ont conduit le monde à une politique malthusienne et l’espoir humaniste se fonde désormais dans la renaissance.Les trouvailles visuelles de Vincent Korda et de Menzies confortées par la postproduction d’Alexander Korda sauvent le film d’un naufrage planétaire due à la grandiloquence des tirades de Welles davantage porté à faire un film à thèse . Tout est bien qui finit bien dans « le meilleur des mondes possibles ».