Jean Valjean (Jean Gabin), après avoir passé 19 ans au bagne, trouve refuge chez un évêque charitable qui va lui offrir un nouveau départ. Repenti, sous une autre identité, il va faire fortune et œuvrer pour le bien. Mais ses ambitions humanistes sont réprimées par des hommes de lois comme Javert (Bernard Blier) ou des malfrats comme Thénardier (Bourvil). Dans un Paris qui gronde sous la menace de l’insurrection, Jean Valjean doit lutter pour rester un honnête homme.
Dixième adaptation du classique signé Victor Hugo, cette version réalisée par Jean-Paul Le Chanois, scénarisée par lui-même, Michel Audiard (fugacement) et René Barjavel (qui collabora déjà pour Le Cas du docteur Laurent) prend plus que dignement sa place parmi les appropriations d’Alberto Cappelani en 1912, ou de Raymond Bernard en 1933.
Le Chanois, cinéaste engagé, souhaita ici conserver l’esprit de l’œuvre hugolienne, notamment son aspect social. Né en 1909, Le Chanois (né Dreyfus) devient journaliste en collaborant, au début des années 1930, à La Revue du cinéma (ancêtre des Cahiers). Il est également acteur, se forme au montage avant de devenir assistant-metteur en scène de Julien Duvivier, Maurice Tourneur, ou Max Ophüls. L’avant-guerre le voit également inaugurer sa carrière de réalisateur (Le Temps des cerises, 1936), après une présence marquée dans le fameux groupe Octobre qui rassembla des artistes de gauche liés au Front Populaire. Sous l’Occupation, Le Chanois travaille sous un faux nom auprès de la Continental, tout en dirigeant le Comité de libération du cinéma français, organisme de résistance sous l’Occupation, sous le pseudonyme de Marceau, et signe, à partir de scènes filmées dans le maquis du Vercors Au Coeur de l’orage (1944). Après la guerre, Le Chanois s’investit encore non seulement dans ses films, mais aussi dans son engagement syndical et politique auprès du Parti Communiste. Par exemple, avec L’École buissonnière (1949), il décrit les méthodes d’enseignement modernes de Célestin Freinet ; avec Le Cas du docteur Laurent (1957), il fait l’éloge de l’accouchement sans douleur. Sans laisser d’adresse (1951) est un émouvant drame social. Toutefois, Jean-Paul Le Chanois abandonne parfois les longs-métrages aux thèses trop appuyées au profit de récits d’une veine plus comiques ou familiales comme Papa, maman, la bonne et moi (1954) et ses suites avec le comédien Robert Lamoureux. Les années 60 le virent mettre en scène des films comme Le Jardinier d’Argenteuil (1966) puis des séries pour l’ORTF telles que Madame, êtes vous libre ? (1969).
Sans verser dans l’écueil ou l’excès d’une simple copie du roman, Le Chanois tint à apposer sa patte et son esprit dans cette adaptation. Bénéficiant d’un budget très confortable, avec les productions Pathé, la Société Séréna, et les productions de la DEFA en Allemagne de l’Est, le réalisateur du Temps des cerises va tourner une partie des Misérables dans les célèbres studios de Babelsberg, près de Postdam, dans la zone russe occupée alors par les alliés. Le Chanois narre dans des entretiens que son équipe devait traverser différents secteurs contrôlés par les français, les russes, ou les anglo-américains. Les studios, immenses, où furent construits de vastes décors et filmés les scènes de rues et de batailles, nécessitaient des passerelles pour les éclairages, et des vélos pour circuler plus rapidement à l’intérieur des entrepôts ou vers les loges. Les monteurs s’activaient dans plusieurs salles de montage. Une épopée technique.
Cette odyssée technique se poursuit par le travail à effectuer pour la pellicule : du Technicolor, certes, mais selon un format auquel il fallut s’adapter, le Technirama, permettant de produire des copies selon trois formats différents selon les projections et les salles. Un labeur nécessitant une vigilance constante, et un développement dans des labos européens, en particulier en Angleterre. Le procédé permit néanmoins au réalisateur une netteté d’images et une profondeur de champ plus vaste que le Cinémascope. Cet investissement iconographique trouve et prouve sa splendeur dans l’intégralité du long-métrage, des scènes initiales du bagne de Toulon à celles tournées aux Tuileries, de l’auberge des Thénardier aux mansardes de Fantine ou de ses compagnons de misère. La restauration entreprise pour cette édition redonne leur brillant au film et à ces procédés.
Mais cette version des Misérables acquiert également ses lettres de noblesse par sa distribution : Fernand Ledoux incarne un émouvant Monseigneur Myriel, Sylvia Monfort une touchante Eponine, Danièle Delorme une tragique Fantine, Serge Reggiani un passionné Enjolras, Giani Esposito un Marius idéal, Lucien Baroux un formidable Monsieur Gillenormand. Les trois protagonistes emblématiques du roman de Victor Hugo sont interprétés par des acteurs exceptionnels : Bernard Blier (qui joua déjà dans d’autres films de Le Chanois) en Javert implacable, Bourvil en Thénardier fourbe, hypocrite, sortant enfin du registre drolatique, et, évidemment, Jean Gabin, tout en force intérieure, en dignité, en sobriété. Sa dernière scène reste inégalable de justesse et d’émotion. Un Valjean d’anthologie. Et Le Chanois montre la misère sous tous ses aspects (social, humain, psychologique), sous le prisme de l’individuel comme celui du collectif, grâce aux actes des personnages, tel le fougueux Enjolras, ce révolutionnaire porté par ses idéaux républicains.
Film épique, œuvre sociale, long-métrage d’ambition, adaptation fidèle, aux acteurs de premier ordre, Les Misérables selon Le Chanois mérite plus qu’une redécouverte : une réhabilitation.
Les Misérables – Deux époques – Blu-ray
- Durée : 208 minutes
- Son : Français / DTS Mono / 2.0
- Sous-titres : Anglais, Sourds et malentendants
- Nombre de disques : 2
- Bonus : Les Misérables, adaptation cinématographique d’une œuvre majeure par Delphine Gleizes et Arnaud Laster (27 min), Archive : interview de Bernard Blier et Jean-Paul Le Chanois, 1958 (5min50)
Les Misérables – Deux époques – DVD
- Durée : 208 minutes
- Son : Français / MONO / 2.0
- Sous-titres : Anglais, Sourds et malentendants
- Nombre de disques : 2
- Bonus : Les Misérables, adaptation cinématographique d’une œuvre majeure par Delphine Gleizes et Arnaud Laster (27 min), Archive : interview de Bernard Blier et Jean-Paul Le Chanois, 1958 (5min50)