Les destinées d’Asher

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Une oeuvre forte sur la fragilité de la transmission intergénérationnelle.

Herzliya, une petite ville au nord de Tel Aviv, Asher se destine à reprendre l’entreprise d’échafaudages de son père. Parallèlement à son activité professionnelle, il prépare son bac sans l’ombre d’une motivation. D’un caractère instable et impulsif, le garçon se fait régulièrement remarquer par les troubles qu’il cause dans son établissement. Néanmoins, l’intérêt que porte Asher à Rami, son enseignant de littérature, le conduit à s’interroger sur le sens à donner à son avenir. Présenté dans la cuvée ACID 2017, à Cannes, Les Destinées d’Asher est un récit fictionnel qui repose sur les expériences personnelles du réalisateur. Matan Yair fut le professeur du bouillonnant Asher Lax, qui joue ici son propre rôle. Evitant tous les écueils d’un tel sujet, ce premier long métrage du metteur en scène constitue une réflexion fine et sensible sur la société israélienne en devenir. La justesse des interprétations n’étant pas la moindre de ses qualités.

L’affrontement

Sa mère ayant quitté le foyer, Asher vit seul avec son père. Le quotidien ne cesse de réunir les deux hommes : au travail, à la maison et au lycée lorsque le père est convoqué. Dans ces situations, au fort potentiel conflictuel, la mise en scène capte avec acuité toute la complexité et la singularité de ces rapports filiaux. Dès que le père entre dans le cadre, l’atmosphère s’apaise. Les jeux des regards (qui s’évitent le plus souvent) et la concision des dialogues traduisent ce mélange complexe et confus d’affection, de peur et de pitié, que l’on nomme respect, par trop de facilité. En position de désaccord, la tête souvent baissée, la voix basse, Asher ne fait qu’esquisser un semblant d’affirmation.

La rébellion d’Asher s’exprime hors du foyer. Sur le terrain de foot, en classe, Asher est le plus souvent cadré en plan serré, pour nous permettre d’effleurer la sensibilité exacerbée du garçon. Les heures de cours baignent dans une tension permanente. La moindre réflexion d’un camarade peut conduire à une réaction violente. A l’instar de Laurent Cantet dans Entre les murs (2008), Matan Yair réussit à recréer la réalité d’une salle classe, et ce sans aucun artifice. Face à l’imprévisible Asher et à ses non moins turbulents compagnons, l’enseignant de littérature fait face. Malgré sa crainte, il n’hésite pas à s’immiscer dans l’espace occupé par les élèves. Seul, en plan large, dos au tableau, tantôt autoritaire, tantôt fragile, Rami ne triche jamais face à son auditoire. Intrigué, touché, Asher cherche à se rapprocher de son professeur. Le scénario convenu n’aura pas lieu ; le sort en décidant autrement.

 

 

Une autre voie ?

Matan Yair brosse le portrait d’une jeunesse dont l’avenir semble inexorablement tracé. Une génération sans idéaux, sans envies, destinée à devenir ce que la famille et la société projettent. L’unique scène où Asher se retrouve face à des jeunes d’une autre classe sociale, il s’exclut lui-même du cadre. Entre membre d’un même groupe, on s’insulte, on se provoque mécaniquement, sans raison valable. La culture peut ouvrir les esprits et briser ce déterminisme. Mais l’école apparaît plus que fragilisée dans sa mission. Les valeurs de l’institution ont bien du mal à se faire entendre dans l’établissement scolaire. Seules les menaces et les sanctions permettent aux adultes de s’imposer pour un temps. Lorsque la transmission entre les générations est brouillée, c’est le socle même de notre société qui se retrouve ébranlé. Matan Yair pose les mêmes problématiques que Laurent Cantet dans L’Atelier, sorti l’an dernier. Avec autant d’intelligence et d’humilité que le réalisateur français, sa réflexion s’accompagne du même refus du didactisme. Pas de pessimisme ni de recettes miracles. Mais un constat sans aucune complaisance qui nous place face à notre impuissance. « Comment un père peut-il à la fois aimer son fils et le frapper ? ». Cette question, comme toutes les autres interrogations qui troublent Asher, restera sans réponse. Long et tortueux est le chemin qui reste à parcourir.

Lire également l’Interview de Matan Yair.

Titre original : Les Destinées d'Asher

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Durée : 98 mn


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