Les Anges du péché

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Second film de Robert Bresson (après Les Affaires publiques, en 1934), Les Anges du péché est considéré comme son premier > long métrage. Produit par Gaston Gallimard et tourné au printemps 1943, en pleine Occupation, il sortira sur les écrans deux ans avant Les Dames du Bois de Boulogne. Alors que Guitry l´adoube en des […]

Second film de Robert Bresson (après Les Affaires publiques, en 1934), Les Anges du péché est considéré comme son premier << grand >> long métrage. Produit par Gaston Gallimard et tourné au printemps 1943, en pleine Occupation, il sortira sur les écrans deux ans avant Les Dames du Bois de Boulogne. Alors que Guitry l´adoube en des termes sans doute… opportuns pour l´époque (<< Ah ! comme il est français ce film - or donc, qu´il soit le bienvenu >>), le cinéaste, secondé dans l´écriture de son scénario par l´écrivain Jean Giraudoux, fait en toute discrétion une première oeuvre irréductible, déjà. Irréductible aux accidents de l´Histoire (rien n´évoque ceux que traverse la << civilisation française >> chère à Guitry en 43) et aux décors choisis (la même histoire aura lieu << hors les murs >> du couvent, dans les films à venir de Bresson). Les Anges du péché est une oeuvre stylisée, riche de cette complexité unique qui composera tous les films de Bresson. Tous les thèmes du cinéaste sont présents, unifiés en une écriture rigoureuse d´où sont exclues les réponses hâtives et les figures trop simples. Rien ne s´explique moins facilement qu´un film de Bresson : cette première oeuvre le démontre déjà.

Il y aura donc la Foi, la Parole, la Révélation. Il y aura la Faute, la Révolte, le Choix, la Justice et la Rédemption. Or si le cadre d´un couvent, celui de la Congrégation de Béthanie, et ces qualificatifs en majuscules ont certes leur importance, ces qualités << bressoniennes >> semblent n´être qu´incidentes, rétrospectivement. Robert Bresson, dès son second long métrage, a son << style >> – personnages et situations. Ils ne changeront guère : le cinéaste, tout juste rentré de captivité, déclinera, de film en film, son obsession de l´emprisonnement. Prison dont il faut voir la trace jusque dans l´individu et ses actes, et dans l´obsession de sa libération.

Au-delà de la très grande qualité visuelle et scénaristique de ce premier grand film, qui s´offre, au tout début, une incursion dans le film noir (la fuite organisée de la ténébreuse Thérèse), au-delà du style très abouti qu´il nous révèle, Les Anges du péché est une admirable évocation de la Parole.
Le film organise son développement autour d´une mise en cause systématique et obsédante de la parole qui s´échange. Le couvent de Béthanie, c´est évidemment le lieu de la parole immanente, celle de la vérité infaillible de Dieu. Mais en l´absence de ce Metteur en scène suprême, et dans le silence assourdissant qui Le manifeste, la place est laissée libre à toutes les paroles – le cinéma tâchant d´orchestrer l´entrelacs subtils et chromatiques de leurs tractations et motivations, cachées ou formulées.
Le Bien et le Mal auront bien sûr leur mot à dire, mais plus primordial encore est le rôle dont les règles de la vie sociale (la prison) et monacale (le couvent) ont affublé chacune des femmes qui s´expriment ici-bas. Or Thérèse et Anne-Marie, chacune à leur manière, utilisent leur parole – leur Foi, leur Vérité, leur choix – pour perturber l´ordre des choses. << N´obéis pas à mes ordres, obéis à mes silences >>, dit Thérèse d´Avila dans une des sentences délivrées lors d´un rituel : beaucoup de paroles sont ainsi échangées, qui prétendent impliquées les destins de Soeur Anne-Marie et Thérèse, l´une et l´autre liées par la responsabilité d´une parole que tantôt elles renient, tantôt elles refusent. Dès lors, la révolte est possible et permise, dont l´humain et le divin seront les témoins gênés – la << libération >>, en somme, n´était pas prévue au programme des religions, pas plus qu´une histoire d´amour, humain et divin confondus.
<< Il vous aurait fallu quelqu´un qui ne parle pas >>, dit Anne-Marie à Thérèse : et c´est précisément quand elle ne peut plus parler que la mort vient enfin sanctifier le lien entre les deux femmes que tout sépare – c´est-à-dire que tout rapproche…

Même si l´intention documentaire du film, que Bresson a réalisé avec l´aide d´un membre de la Congrégation, est indiscutable, on observe, rétrospectivement, que toutes les questions qu´abritent ces murs, ces rituels, ces ornements de langage et de prière, seront en définitive les mêmes << hors les murs >>. Elles sont celles, admirablement mises en scène déjà, d´une oeuvre immense en devenir.

Titre original : Les Anges du péché

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Durée : 74 mn


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