1978. Belle date, année de tous les dangers et réveil du cinéma US qui, enfin, regarde derrière lui afin de bousculer les fantômes vietnamiens du passé. Magnifique Retour !
Dur de placer des mots pour qualifier des maux. Situation complexe qui nécessite souvent des silences, des jeux de regards, quelque musicalité, des haussements d’épaule… Et puis les tombeaux s’ouvrent et c’est la débâcle. De temps en temps, des voix s’élèvent, des bouts de lettres, des instants de vies qui viennent dissiper tout malentendu, tout discours poussiéreux, et qui nous offrent des vies volées. Des milliers de jeunes croyants, ayant foi en la liberté, en une certaine tendance de la démocratie, partirent combattre d’autres jeunes, tous de la même génération, qui bloquèrent la logique pour s’engouffrer dans l’un des conflits les plus sanglants de la deuxième moitié du siècle dernier : la guerre du Viêt Nam.
Dans un premier temps, et ce contrairement à des idées reçues, Hollywood n’éprouve que très peu d’intérêt à l’égard de ce conflit. Aurélien Portelli, critique de cinéma, l’explique clairement : « Plusieurs raisons expliquent le désintérêt des studios. Premièrement, ils ne sont pas obligés, comme pendant la Seconde Guerre mondiale, de participer à l’effort de guerre. De plus, Hollywood évite toute controverse politique suite au film Les Bérets verts (John. Wayne, 1968), l’un des plus décriés de la seconde moitié du XXe siècle. Enfin, le public manifeste un faible enthousiasme pour les films-Viêt Nam, non seulement car la guerre est impopulaire, mais également à cause de la médiatisation télévisée du conflit. L’immédiateté des images séduit davantage que la fiction cinématographique. » Avec Taxi driver de Martin Scorsese, Le Retour, somptueux film de Hal Ashby de 1978, représente l’une des rares exceptions éparpillées dans une production US assez surprenante. Les américains ne veulent pas (re)voir la défaite de leur armée, et boycottent toutes images qui pourraient leur rappeler de lointains et mauvais souvenirs.
L’histoire de ce film est assez rocambolesque. Initialement tourné par Bob Rafelson, qui avait été préféré à John Schlesinger (qui eut cette fameuse phrase : « Vous avez besoin de tout sauf d’une vielle folle britannique »), ce sera finalement Hal Ashby, le tonitruant réalisateur de Harold et Maude, qui mettra la main dans le cambouis. Le résultat est bouleversant, dépravé et légèrement larmoyant. Obligés de verser quelques larmes, car rares sont les séquences paralysées, et beaucoup de tendresse et de tristesse émaillent ces kilomètres de pellicules argentées qu’Ashby, monteur de formation, a su magnifier avec une grâce qu’il ne retrouvera plus jamais. Une bonne histoire dans les mains, un cahier d’une centaine de pages qu’il serait impossible de jeter à la poubelle, un scénario qui existe, qui parle à tous, à des vétérans, à de jeunes étudiants, à des gosses friands de flingues et de sang dégoulinant de sauce pop-corn, tous seront attirés par cette histoire qui caresse la beauté des corps perdus.
Aujourd’hui, un groupe tel que The Rapture réussit à clamer « Open your heart ». Durant les années 1970, difficile de retrouver cela dans la production US des films de guerre. De mauvais souvenirs perdurent, surtout avec ce film nauséabond réalisé par John Wayne, le ténébreux co-pilote de la droite américaine, Les Bérets verts. Très simplement, l’acteur roublard exprimait avec sincérité sa solidarité avec le gouvernement Johnson, et plus tard celui de Nixon, qui envoya à l’abattoir des centaines de jeunes américains dans une guerre qui ne leur parlait en aucune façon. Une œuvre telle que LeRetour peut se vanter d’avoir remis les pendules à l’heure, d’avoir réussi à réveiller une conscience, celle d’un peuple qui ne voulait plus voir la réalité en face et qui frémissait le temps d’une mélodie meurtrière. Le punk allait éclater, Reagan devenir président des Etats-Unis, et la saga Star Wars avait déjà commencé. Le Retour arrive donc dans un climat assez chargé, porté par sa productrice, une femme d’influence qui, on l’oublie souvent, fut la cheftaine de la logique contestataire aux USA : Jane Fonda.
Elle en parle toujours fièrement, de ce film, avec la larme à l’œil : « Nous avons porté ce film pendant six ans, raconte-t-elle. Quand j’en ai eu l’idée, après avoir parlé avec des soldats gravement blessés, nous étions en 1973 et personne n’était prêt à financer un film pareil. Je ne sais d’ailleurs pas qui le tournerait aujourd’hui. ». L’histoire est malheureusement simple : une femme dont le mari est au Viêt Nam se prend d’affection pour un jeune blessé de guerre, paralysé des deux jambes. Cette marque de sympathie se transforme progressivement en un subtil échange amoureux, qui deviendra admirablement physique. Le mari finit par rentrer à la maison. Le théâtre peut donc commencer.
« Je n’avais pas revu ce film depuis 25 ans, dit Jane Fonda. Je l’ai accompagné récemment dans un festival à Vienne et j’ai été émue et profondément troublée par les échos qu’il peut avoir aujourd’hui. Jamais quand j’ai gagné l’Oscar, trois ans après la fin de la guerre du Viêt Nam, je n’aurais pu imaginer que je reverrais un jour le film dans ces conditions, que nous en serions à nouveau là, qu’il serait possible de connaître pire… » Indirectement, Fonda cite la guerre en Irak et c’est toujours le même merdier qu’elle condamne, se disant sans doute que les choses n’évolueront jamais, plus jamais. Voir Le Retour, c’est découvrir un pays abattu, pénétré de l’intérieur et handicapé à un point qu’il est difficile d’imaginer. Ashby, tout au long de cette œuvre, présente des personnages complètement ruinés par un destin intraitable, et qui tentent malgré tout de se frayer un chemin dans cette jungle impitoyable. Toujours cette devise renoirienne qui revient, « chacun à ses raisons dans ce monde ». Triste à signaler, mais Le Retour montre des êtres ordinaires, des gens comme vous, moi, d’autres, des gens qui veulent réinventer l’amour, qui veulent embellir le sexe, qui veulent jouir différemment. Impossible d’oublier cette séquence, ce rapport sexuel, cet effusion de bonheur entre John Voight et Jane Fonda : "C’était une scène importante pour moi parce qu’elle allait à l’encontre des clichés machistes. Le personnage de John Voight lui fait découvrir la jouissance sans la pénétrer. Pour l’époque, c’était une vision audacieuse. J’ai reçu des lettres de femmes qui me remerciaient parce que j’étais sur lui. Eh oui, je le chevauchais ! Pour moi, Le Retour, c’était la bataille de la pénétration"
Ce sera un énorme succès public et critique, dont les 3 Oscars (acteur, actrice et scénario) seront les fers de lance de cette véritable bataille gagnée contre un système académique, celui du film didactique. Il y a beaucoup de justesse dans ce Retour, des moments assez surprenants où l’on plane tant la beauté du geste, l’acuité du regard et l’interprétation toute en finesse offrent une forme de documentaire qui détermine les lignes de la fiction. Trente ans plus tard, le film n’a pas pris une ride, et nous parle considérablement.