Le fils Courge vit isolé dans les bois avec son père. Il converse avec de drôles d’animaux géants à la mise impeccable. Que sont-ils ? Fantasmes ou fantômes ? Jean-Christophe Dessaint perd du temps à se poser la question qui n’intéresse que lui alors qu’elle n’est même pas le cœur du film et qu’il finira par ne pas traiter. Miyazaki se demande-t-il si ses allégories filmées sont à lire au premier degré ? Non. Tarkovski donne-t-il le décodeur universel de son Stalker (du type : eh les gars ! Là on bascule dans le symbolique. Ce n’est pas réel, mais ça s’applique à la réalité !) ? Non. Dessaint si. Il rappelle le piétinement d’Ozon dans son récent triturage de méninges stérile réalité/fiction. Mais le babillage bucolique du fils Courge est brutalement interrompu avec l’accident de son taciturne de père qui le force à l’emmener hors de la forêt et réintégrer la civilisation pour le faire soigner. Il découvre alors un monde inconnu, aussi effrayant que merveilleux. Le pitch est aussi rabattu que facile à vendre. Parcours fléché : récit d’émancipation.
L’absence totale d’originalité n’est pas en soi le problème (bien qu’un peu de nouveauté et de surprise ne soit pas désagréable à l’occasion), Le Jour des corneilles ayant toutes les clés en main pour former un joli conte pédagogico-intelligent. Mais on s’aperçoit vite que tout va de travers dans le film. Du scénario balourd à l’incapacité la plus totale à trouver le rythme adéquat, du divorce entre le décor (le soin apporté à la forêt) et les personnages (grands dieux, pourquoi faire ressembler le jeune héros à un Razmoket ?), Le Jour des corneilles fait souvent hausser le sourcil d’incompréhension.
Pire que tout, le film est victime de son plan marketing. Comme il est de bon ton, afin de pouvoir le mettre en gros sur l’affiche et avoir quelqu’un de connu à inviter sur les plateaux TV, le doublage est assuré par des stars. C’est formidable, même dans les films d’animation, on peut retrouver ses acteurs préférés. C’est tellement bien fait dans Le Jour des corneilles qu’on a l’impression, à chaque réplique, que les acteurs surgissent derrière les personnages principaux. Il ne s’agit donc plus seulement d’un film sur les relations tumultueuses entre un père et son fils, mais du mauvais ballet des voix de Jean Reno et Lorànt Deutsch, tellement tonitruants qu’ils barrent complètement l’accès aux personnages et à l’histoire. Il ne reste que l’écho de leurs voix duquel on peut se repaître péniblement pendant de très longues quatre-vingts-dix minutes. Il va bien falloir finir par s’apercevoir que le doublage est un vrai métier, qui demande des compétences et qu’un plan marketing assure peut-être le succès d’un film, mais pas sa qualité. Parce qu’à force de prendre le spectateur pour un pigeon, celui-ci finira bien par vous chier sur la tête.
Paradoxalement, le seul intérêt du film réside dans le doublage d’un des personnages secondaires, celui du docteur dont la voix est celle du regretté Claude Chabrol. Il n’en fait, lui, pas trop, et offre au personnage une voix proche de celle des livres-disques de notre enfance. La certitude d’y entendre la voix du Maître pour la dernière fois suffit-elle à encourager au déplacement ? En tous cas, elle ne permet pas de sauver le film. Même Claude Chabrol ne peut faire de miracles.