Le Divan de Staline

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Un film aussi empesé qu´une construction soviétique.

Une grille imposante s’ouvre pour laisser passer un cortège de berlines noires. La brume ajoute encore à l’obscurité de cette nuit peuplée de soldats au garde-à-vous, postés devant un château au coeur d’une forêt. Le maître des lieux n’est pas un ogre de conte de fées mais le bien réel camarade Généralissime Staline, venu se reposer quelques jours dans son domaine gothique géorgien en compagnie de sa maîtresse Lidia et de sa horde de domestiques et de militaires. Dans cet autre Xanadu, le citoyen Staline entraîne Lidia dans un jeu psychanalytique dangereux dans lequel il tient le rôle du patient et elle, celui de l’analyste. Durant le jour, Danilov, le jeune artiste chargé de réaliser le monument à la gloire du dictateur, attend son audience qui tarde à venir. Le jeu du chat et des souris peut commencer.
 

L’adaptation du livre de Jean-Daniel Baltassat est l’occasion, pour Fanny Ardant, de mettre en scène des thèmes qui lui tiennent à cœur. La réalisatrice souhaite transmettre son amour de la Russie, et évoquer le pouvoir de l’artiste – cet individu dressé contre la masse, informe et docile – elle a soif de deviser sur la perte inexorable de l’innocence, tout en cogitant sur les concepts de reflet, de double jeu ou encore d’inconscient. Autant dire qu’il y a à boire et à manger dans cette note d’intention, mais une fois transportée à l’écran c’est la disette. Beaucoup (trop) est dit, mais bien peu est montré.

Un statisme affecté

D’un statisme éprouvant – on fraye toujours avec des dialogues statuaires – Le Divan de Staline pâtît également d’un propos et d’une forme dualistes qui le pétrifient dès les premiers instants, attendu que l’argument du film repose sur le face à face entre la vérité et le mensonge, le courage et l’art d’un côté, la lâcheté et les compromissions de l’autre. Nul besoin de préciser à quel bord appartient ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Le duel sera purement rhétorique et verra chaque personnage ferrailler à grands coups de sentences catégoriques – plus ou moins intelligibles – assénées face caméra ou le regard perdu dans le vide. Une manière d’accentuer encore ces aphorismes dont la profondeur n’est qu’affectation. « Se regarder c’est s’acharner à voir l’invisible de l’âme qu’il faut faire renaître pour comprendre la vérité » phrase entendue à plusieurs reprises, dont l’hérmetisme est renforcé par la déclamation de certains acteurs. Le film se fige alors en un pensum aussi lourd que les pas de Staline sur le marbre du château, et l’emphase ne trouve pas de contrepoints dans l’utilisation du silence et du vide. Pourtant présents mais désertés car aucune menace et aucun non-dit ne vient s’envelopper dans ces blancs.
 

« Il y avait de la brume sur le lac »

L’ambiance fantasmagorique des lieux fonctionne par moments ; la forêt emmitouflée dans le brouillard transporte le château au-delà des lieux et du temps mais, très vite, la nature est réduite à des plans de coupe qui se bornent à illustrer le propos plutôt qu’à l’exprimer. Staline s’apparente au personnage de Barbe-Bleue, la porte à ne pas ouvrir étant ici celle de son inconscient. En donnant la clé à Lidia – sous la forme de L’interprétation du rêve (1900) de Freud – il lui tend un piège : fissurer le masque de son amant l’oblige à abandonner le sien en prouvant qu’elle en sait plus qu’elle ne le laissait entrevoir. Là encore, le péril est plus formulé que ressenti, sans compter le fait qu’il est écorné par une des premières séquences dans laquelle Staline pique une colère épique contre…un régime de bananes pas mûres (la banane étant un leimotiv bien mystérieux du film).

L’antre de l’ogre devient ainsi un châtelet de marionnettes jouant leurs participations plus pour elles mêmes que pour le spectateur.
 

Titre original : Le Divan de Staline

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Durée : 92 mn


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