D’abord des mots. Lignes claires étalées sur une blancheur chaotique. Incartades policières posées sur un échiquier docile par un écrivain sangsue. Puis des images. Composition picturale d’une éclatante beauté. Photo léchée, glamour éparpillé sur tous les plans, du décor faussement réaliste au grain de peau des acteurs. Deux auteurs, deux quinquagénaires bourrus, deux solitaires passionnés, Ellroy l’écrivain et De Palma le cinéaste, une même hantise, une même terreur. Un Dahlia noir équivoque.
Brillance d’un état d’âme. Vaincre par tous les moyens les démons de l’envie, ceux qui vous entraînent dans une spirale meurtrière. Se baisser pour nettoyer la merde qui tourne autour de vous tel le vautour du désir. Chercher sans cesse cette lumière factice qui tournoie vos sens, enivre votre esprit et vous stoppe à jamais. Tous ces gestes, Elizabeth « Betty » Short les retranscrit sans la moindre amertume, sans se voiler la face, prête à tout pour gagner les pavillons estivaux de l’extase. Nous sommes en 1947, Hitler s’est flingué, John Ford a réalisé La Poursuite infernale et Betty se fait dépecer dans un terrain vague de la Cité des anges. Sa légende vient de naître.
Se réapproprier les psychoses d’Ellroy n’est pas une chose fortuite. De Palma partage avec l’écrivain californien des parts d’ombres similaires qui furent savamment exploitées à des fins artistiques. On sait depuis quelques années que l’œuvre d’Ellroy fut hantée par le meurtre non élucidé de sa mère, le cas De Palma est plus pervers. Deux évènements. Deux incidents historiques façonnèrent le corps massif du jeune cinéphile. En 1958, il reçut de plein fouet le voyeurisme sexuel et la violence torturée d’Alfred Hitchcock avec Vertigo, chef-d’œuvre sadique dont il ne se remit jamais. Quelques années plus tard, il surprendra son père dans les bras d’une poupée blonde, infidélité qu’il soupçonnait depuis très longtemps. La confrontation faillit tourner au drame et laissa une profonde rancœur dans l’esprit du jeune cinéphile. Ces deux moments-clés de son adolescence sont la base fondamentale de son œuvre. Entre obsession féminine et indiscrétion assurée, De Palma promène depuis plus de quarante ans sa nonchalance roublarde tout en se démenant péniblement avec des producteurs/financiers peu enclins à expérimenter les facettes du cinéma.
D’un roman génialement dense, De Palma en extirpe les faux-semblants du pouvoir. Il est toujours question d’une lutte des classes, celle d’une bourgeoisie hollywoodienne contre la Californie d’en bas. Une société dominatrice à son paroxysme, dévorant inlassablement toutes celles qui ont le malheur de rêver face aux déprimés chroniques, insatisfaits sociaux et flics romanesques polluant les trottoirs de Sunset Boulevard. De Palma revisite cette période décadente où l’érotisme dépravé allait de pair avec la jouissance mensongère. En cela, le cinéaste tente de renouveler une trame narrative initiale peuplée d’une cinquantaine de personnages, d’innombrables décors et surtout d’indices multiples. En cinq cent pages, Ellroy prenait le temps de décortiquer les rouages d’une administration qui prenait un malin plaisir à rudoyer les nantis. Au cinéma, l’histoire est différente !
De Palma peine mystérieusement à construire une linéarité dans ses propos, l’organisation de ses idées étant totalement sabordée par un trop plein d’inspiration. Chacun des enchaînements proposés souffrent d’une forme inachevée, comme si le cinéaste refusait d’approfondir ses idées séquentielles. Des blocs éparpillés ici et là et sans cohérence réelle donnent au film un léger flottement d’ennui, caressant une mise en scène qui s’assagit progressivement. De la nervosité palpable, on est passé à une adaptation gentillette dénuée de la moindre logique narrative. Difficile de comprendre les comportements de ses protagonistes, de les suivre dans cette quête d’un bonheur ineffable, de les apprécier sans pour autant les prendre en pitié. Ministère de l’angoisse d’un temps passé à la moulinette.
De Palma convainc par la fulgurance sur certaines scènes où la bravoure de sa mise en scène exorcise une incapacité à se livrer totalement. La mort de Blanchard (Aaron Eckhart) est en soi un bel exemple de maîtrise cinématographique. Plus qu’un exercice de style, ces quelques minutes confirment que De Palma pouvait tirer de cette adaptation une véritable réflexion sur la destruction morale orchestrée par le Temps, signe évident d’un destin implacable. Le cinéaste tenait là son chant du cygne, une Naissance d’une Nation qui aurait pu l’emmener vers un territoire plus posé, expérimental où la durée aurait pris les reines d’un film de commande pour l’étendre définitivement.
Exquises sont les reconstitutions hollywoodiennes, soignées sont les mise en abyme d’un cinéma cruel mais le résultat lorgne plus vers un ratage complet qu’une œuvre malade voire imparfaite. De Palma a perdu ce match faute de temps. Unité primordiale au cinéma !