L’Apparition

Article écrit par

Des hommes et des Dieux.

« Quand ils le virent, ils se prosternèrent devant lui. Mais quelques-uns eurent des doutes. » Matthieu, 28 :17

C’est une pâleur continuelle qui donne son teint au film de Xavier Giannoli, L’Apparition. Des chromes ternes repérés dans des salles claires aux murs d’un blanc cassé, des icônes jaunâtres et des vêtements grisonnants, comme ce sweat que porte Anna (Galatea Bellugi), jeune femme rentrée en religion qui concentre toutes les attentions depuis qu’elle a dit avoir vu une apparition de la Vierge Marie, au milieu d’un coin de nature aux abords d’une petite ville du sud-est de la France. Son visage s’accorde à l’identité visuelle du long métrage, il est confondant de blêmissement, d’une pureté livide et d’un regard fixe aussi captivants que dérangeants. C’est dans l’empreinte de ce visage, composé de façon saisissante par l’actrice, que peut se lire le déroutant et opaque parcours dans lequel se voit propulsé Jacques (Vincent Lindon), grand reporter un jour appelé par le Vatican pour rendre compte d’une « enquête canonique », enquête commandée par l’Eglise ayant pour but d’élucider « l’authenticité » ou non d’un signe surnaturel.
 


Un protocole rationnel pour accueillir le doute

Le cinéaste déroule le fil d’une enquête dûment documentée, où l’on découvre que l’Eglise met en place un protocole rigoureux et scientifique pour « résoudre » la question de cette apparition, réunissant une commission d’enquête digne de ce nom, composée d’une psychiatre, d’un historien, d’un prêtre, organisant des séances de recherche et d’interrogatoires précises et raisonnées. Il y a quelque chose d’assez fascinant à assister à ce processus d’une rationalité catégorique, sans fard, à l’image des salles d’audition au décor des plus neutres, tandis que des kilomètres plus loin, une foule de pèlerins en liesse assaillent la communauté religieuse où se trouve Anna, qui peine à être protégée par le prêtre protecteur Borodine (Patrick d’Assumçao). Un écart perturbant, questionnant. Si, d’un côté il peut sembler contradictoire de chercher à « prouver » scientifiquement le fait apparitionnaire, cette démarche apparaît comme nécessaire pour dénouer cet écheveau irrationnel et obscur.
 

Faussaires de Dieu

Progressivement, la mise en scène, d’abord ascétique, calme (la clarté des séquences comme de leurs décors), ponctuée des sybillins aigüs de la musique d’Arvö Part, se met à déborder comme un cours d’eau. De par l’emballement médiatique que suscite l’affaire de l’apparition, accentué par le profit que cherchent à en faire certains imposteurs, à l’image d’Anton Meyer, illuminé inquiétant et fièvreux, pétri de certitudes, interprété avec talent par Anatole Taubman. Puis par l’avancée de l’enquête, qui voit la distance journalistique et professionnelle de Jacques mise à l’épreuve, au fur et à mesure qu’il se confronte à Anna qui, elle, perd pied et chute tant physiquement que psychiquement dans ce déferlement autour du message qu’elle dit avoir reçu. Car, ce sur quoi se focalise la seconde partie du film, ce n’est plus véritablement la preuve du signe, le fait, ni même la croyance, c’est la croyante elle-même, à visage humain. Dans cette enquête et sa célébrité, un tourbillon violent emporte un être, la sincérité fourvoyée du sens qu’Anna injectait dans le récit de soi qu’elle se faisait. L’Apparition perd alors une partie de son inquiétant mystère pour suivre les contours des ressorts existentiels qui mènent à la foi humaine, soulignant sa démesure (rappelant certains moments de son film A l’origine – 2009). Xavier Giannoli élargit sa focale, poussant son récit jusqu’aux frontières de la Syrie, bouclant une étonnante boucle de coïncidence pour le journaliste Jacques, dont on apprenait, dès l’ouverture du film, qu’il venait de perdre brutalement, sur une zone de conflit son confrère et ami de toujours. Si l’épilogue de l’oeuvre a quelque chose de surfait, il fait le geste symptômatique de l’une de ces « apparitions internes » existentielles, propres à l’humain qui, si elles ne sont pas nouvelles, habitent toujours des rouages secrets.

Titre original : L'Apparition

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Durée : 137 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Dersou Ouzala

Dersou Ouzala

Oeuvre de transition encensée pour son humanisme, « Dersou Ouzala » a pourtant dénoté d’une espèce d’aura négative eu égard à son mysticisme contemplatif amorçant un tournant de maturité vieillissante chez Kurosawa. Face aux nouveaux défis et enjeux écologiques planétaires, on peut désormais revoir cette ode panthéiste sous un jour nouveau.

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dans l’immédiat après-guerre, Yasujiro Ozu focalisa l’œilleton de sa caméra sur la chronique simple et désarmante des vicissitudes familiales en leur insufflant cependant un tour mélodramatique inattendu de sa part. Sans aller jusqu’à renier ces films mineurs dans sa production, le sensei amorça ce tournant transitoire non sans une certaine frustration. Découvertes…

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Le pénultième film d’Ozu pourrait bien être son testament cinématographique. Sa tonalité tragi-comique et ses couleurs d’un rouge mordoré anticipent la saison automnale à travers la fin de vie crépusculaire d’un patriarche et d’un pater familias, dans le même temps, selon le cycle d’une existence ramenée au pathos des choses les plus insignifiantes. En version restaurée par le distributeur Carlotta.

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Difficile de passer sous silence une œuvre aussi importante que « Il était un père » dans la filmographie d’Ozu malgré le didactisme de la forme. Tiraillé entre la rhétorique propagandiste de la hiérarchie militaire japonaise, la censure de l’armée d’occupation militaire du général Mac Arthur qui lui sont imposées par l’effort de guerre, Ozu réintroduit le fil rouge de la parentalité abordé dans « Un fils unique » (1936) avec le scepticisme foncier qui le caractérise.