La Vie scolaire

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Comédie hilarante, La Vie scolaire pose également un regard critique sur l’imaginaire colonial qui imprègne encore l’enseignement en REP.

C’est la rentrée. Il y a du chahut dans une salle de classe. La principale rappelle tout le monde à l’ordre.

Et non, il ne s’agit pas d’élèves, mais d’enseignant·es. Car oui, au collège, La Vie scolaire s’applique à tou·tes.

 

Une vie en commun

Comme son nom l’indique, La Vie scolaire traite, à partir de l’exemple du bureau de Samia (Zita Hanrot), la nouvelle CPE d’un collège de Saint-Denis, de la vie en communauté qu’implique la proximité entre corps enseignant et élèves. Le nouveau film de Grand Corps Malade et Mehdi Inir reprend et prolonge l’esth-éthique de Patients (2017), en allant cette fois jusqu’à renverser la traditionnelle division hiérarchique entre enseignant·es et collégien·nes. Certes, nombre de professeur·euses, à commencer par celui d’histoire-géo (Antoine Reinartz), s’acharnent à vouloir enseigner comme au temps de la IIIe République, avec d’un côté le sachant transmettant un savoir objectif et de l’autre les apprenant·es enregistrant avec docilité. Et lorsqu’un·e élève se rebelle, ce qui ne manque pas d’arriver compte tenu de la lutte des classes qui se joue à échelle réduite dans ce collège, on fait jouer la répression scolaire.

Sauf que ce système sclérosé ne tient pas et conduit à une double peine : l’exclusion des élèves issu·es des classes populaires et la névrose des professeur·euses. Surtout que, comme en ont conscience Messaoud, le professeur de mathématiques (Soufiane Guerrab, vu dans Patients), et Moussa, le surveillant (Moussa Mansaly, de même), bon nombre de liens unissent les professeur·euses et les élèves, à commencer par leur vie commune au sein des cités dionysiennes.

À ce titre, la plus belle des séquences est sans conteste celle des soirées, mises en regard l’une de l’autre par un astucieux montage parallèle. Usant de tout son art des clips, Mehdi Inir lie avec finesse les soirées des enseignant·es et des élèves en jouant sur les raccords plastiques : des gestes identiques, des objets communs, des couleurs réciproques… Jusqu’à l’apothéose, sous la forme d’un montage de plus en plus rapide, qui positionne face à face, sur fond doré, les visages de Samia et de Yanis (Liam Pierron), élève rebelle mais prometteur. Les deux corps fusionnent, exprimant par leur danse ce qu’ils ne peuvent ouvertement partager dans les couloirs corsetés du collège. Exemplifiant le titre, la séquence des soirées met en lumière la communauté d’expérience partagée – en bien et en mal – de la vie au collège.

Décoloniser l’école

Ce faisant, une telle représentation holistique de l’enseignement met à mal la vision dominante du professorat, qui plus est en REP : la vocation missionnaire. Que l’on se souvienne de Gérard Depardieu dans Le plus beau métier du monde (Gérard Lauzier, 1996), d’Isabelle Adjani dans La Journée de la jupe (Jean-Paul Lilienfeld, 2009) ou, plus récemment, de Daniel Auteuil dans Le Brio (Yvan Attal, 2017) : tou·tes exercent leur métier comme des missionnaires en terre hostile, peuplée de sauvages irréductibles à toute autorité qu’il faudra soumettre par la force (Depardieu frappant un élève pour protéger une jeune fille, Adjani prenant une classe en otage pour enseigner Molière). Loin de souscrire à cette image coloniale de l’enseignement en banlieue, La Vie scolaire figure que la République, loin d’avoir « oublié » ces territoires, se joue au contraire sous la forme d’un débat politique dans ces établissements où la lutte des classes fait rage.

Sur ce dernier point, La Vie scolaire rejoint Patients. On peut tirer un fil rouge discret entre ces deux œuvres, à partir de la réflexion de Steeve (Franck Falise) dans Patients : « Pourquoi y a que des cassos ici ? Ils sont où les Pierre-François ? Ils sont où les bourgeois ? ». Jusqu’à présent, le travail de Grand Corps Malade et Mehdi Inir explore ce que le philosophe Michel Foucault qualifiait dans Histoire de la folie à l’âge classique de « grand renfermement » des pauvres au XVIIe siècle. Centre de rééducation, collège ou prison, même combat : comme le montre l’ultime plan du film, un magnifique travelling arrière aérien qui dévoile pour la première fois l’intégralité du collège et révèle par conséquent sa similarité formelle avec la prison que fréquentent Samia et Yanis, tous ces lieux ont pour finalité d’interner et de discipliner les classes populaires rebelles à l’ordre social. Fort heureusement, derrière ce grave sujet, Grand Corps Malade et Mehdi Inir insufflent un humour bienvenu et une solidarité visuelle des corps.

 

Titre original : La Vie scolaire

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Durée : 111 mn


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