Communément, pour les commentateurs, le western européen – spaghetti- se divise en deux. D’un côté, ceux qui tirent le genre vers le haut, un tout petit nombre d’œuvres – une vingtaine au maximum -celles du maestro Sergio Leone, et certaines associées aux noms de de Sergio Corbucci , Sergio Sollima ou autres « baroudeurs » comme Duccio Tessari. De l’autre côté, ceux qui creusent un sillon uniquement commercial, plus de trois cent titres dont les seuls mérites seraient de satisfaire un simple besoin de divertissement et un goût certain pour une violence sans complexe. Heureusement des érudits amoureux du genre comme Alex Cox dans son anthologie 10 000 façons de mourir savent nuancer ce constat en révélant la richesse du genre. Et, encore plus indispensables, les éditeurs vidéo, comme Elephant Films qui accomplissent un minutieux travail de restauration pour nous donner accès à des opus quelque peu méconnus, aux ambitions certes mesurées mais pétris de qualités indéniables, à l’instar des cinq Blu-Ray de la Vendetta Collezione.
Pistolets pour un massacre (Umberto Lenzi,1968).
Après avoir refusé de prendre les armes, par pacifisme, durant la guerre civile, Jim Slade (Peter Lee Lawrence) va se muer en justicier suite à l’assassinat de ses parents. L’habile multicartes, Umberto Lenzi – Poliziotteschi, films d’horreur – ne cesse de contrarier la linéarité d’un récit de vengeance qu’on redoutait programmatique. Constamment sur une ligne de crête entre la loi et ses intérêts personnels, le héros va, lors de son apprentissage accéléré, nous révéler une ambiguïté qui suscite une empathie rarement invitée dans ce genre cinématographique. L’association entre le fougueux et pourtant solide Peter Lee Lawrence et le vétéran, transfuge du western américain, John Ireland donne plus d’impact aux coups de feu dans la Sierra.
Garringo (Rafael Romero Marchent, 1969).
De nouveau, il s’agit de la vengeance d’un fils, avec le même Peter Lee Lawrence, indubitablement un excellent comédien. Mais ici, la haine de son Johnny l’a transformé en un véritable psychopathe, décidé à éliminer tous les soldats qui lui rappellent les meurtriers de son père. Exaspérée, la grande muette lance à ses trousses la plus insoumise de ses ouailles (Anthony Steffen) ; un quasi-sosie de Clint Eastwood. L’affrontement entre les deux as de la gâchette offre un beau lot de péripéties, mais c’est dans le drame que le récit puise sa singularité et sa force. Comme dans Pat Garret et Billy the Kid (Sam Peckinpah, 1969), la détermination du représentant de l’ordre est contrebalancée par une forme de compréhension. La souffrance maladive de son Johnny, la douleur de son oncle prêt à le livrer à la justice nous conduisent vers un psychodrame poignant.
Cangaceiro (Giovanni Fago, 1970).
Présenté comme un remake du film brésilien de Lima Barreto (Sans peur et sans pitié, 1958) se contente à vrai dire de reprendre l’argument de base, la lutte armée d’un groupe de hors- la-loi contre l’oppression des institutions régulières, pour se concentrer sur les tribulations mystico-guerrières de son meneur illuminé. Un personnage cousu main pour le truculent et insatiable Tomas Milian, qui avait déjà donné la pleine mesure de sa fantaisie teintée d’humanisme dans un rôle aux motivations initiales similaires, (Tepepa, dans Trois pour un massacre de Giulio Petroni, 1968). Après un départ où Milian semble emportée par sa seule fougue provocatrice, il se montre beaucoup plus complexe par la suite ; à la fois inquiétant et fataliste, cynique et touchant. La mise en scène fait preuve d’une sobriété bienvenue, l’action et le rythme laissant toute sa place à un arrière-plan et politique qui fait sens. La vengeance de classe qui ridiculise au passage la lâcheté des oppresseurs est ici du meilleur effet.
Et Sabata les tua tous (Rafael Romero Marchent, 1970).
Pour récupérer un butin qu’ils ont préalablement dérobé, deux mercenaires vont devoir éliminer une bande de renégats beaucoup moins sympathiques qu’eux. Référence à Il était une fois dans l’ouest, avec motif de la montre, au Bon, la brute et le truand pour la chasse au trésor, on navigue en terrain balisé pour cette histoire de vendetta. La recette est toute trouvée, mais encore faut-il bien doser les différents ingrédients : action, péripéties et humour. Mission totalement accomplie en partie grâce à la relation amitié-rivalité entre les deux baroudeurs aux caractères opposés.
Ben & Charlie (Michele Lupo, 1972).
Affublé parfois au titre plus évocateur mais moins pertinent de Méfie toi Ben, Charlie veut ta peau, le film est ici présenté dans deux versions, courte et longue. Trinita (Enzo Barboni) vient de casser la baraque il y a quelques mois et le film de Lupo compte bien exploiter le sillon : humour potache, multiplication des provocations et castagnes, dans un style archi décontracté. Déguenillé et sans complexe comme Terence Hill, Giuliano Gemma n’a pas besoin de beaucoup forcer son talent pour dépasser son inspirateur. Face à lui George Eastman en impose avec sa prestance et son détachement habituel. Parmi les cinq films présentés ici, Ben & Charlie est le seul à jouer crânement la carte du cynisme. Un peu trop parfois, mais avec un certain bonheur. Ça ne sera malheureusement pas le cas de la majorité des westerns européens de la décennie soixante-dix qui vont conduire le genre vers l’auto-parodie, et donc sa quasi-fin.
LA VENDETTA COLLEZIONE ! FUTUREPAK, depuis début novembre chez Éléphant Films