La Stratégie du choc

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D’après le best-seller de Naomi Klein, Michael Winterbottom et Mat Whitecross signent un documentaire à thèse sur la montée du neo-libéralisme dans le monde. Bien réalisé, le film est un peu superficiel souvent et excessif parfois.

Il y a une scène singulière, presque anodine en apparence et qui pourrait d’une certaine manière résumer à elle toute seule ce documentaire La Stratégie du choc du duo Winterbottom Whitecross. Nous sommes un jour de 1976. Milton Friedman reçoit à Stockholm le prix Nobel d’économie devant un parterre prestigieux d’invités. Béat, l’homme attend sa récompense et soudain, au balcon on entend la voix d’un individu qui proteste, il crie à l’adresse du récipiendaire de rentrer chez lui. Le trublion est vite évacué. C’est comme s’il ne s’était rien passé, et Milton Friedman est sacré prix Nobel comme prévu.

Friedman est le héros – plutôt l’anti-héros, l’éminence grise du désastre – de ce film tiré du livre de Naomi Klein sous le même titre. Milton Friedman (1912-
2006) s’avère être la pierre angulaire de la thèse de Klein selon laquelle le libéralisme économique (les thèses monétaristes) se seraient imposé dans le monde à la faveur de chocs accidentels ou provoqués tels que, par exemple, le coup d’état de Pinochet en 1973, le 11 septembre, la chute du communisme à l’Est. C’est la « stratégie du choc » consistant à créer un état d’urgence qui va justifier des mesures jusqu’alors impopulaires selon Naomi Klein. Ce serait une stratégie pour utiliser délibérément les désastres comme les catastrophes naturelles, le terrorisme, les guerres afin de privatiser au maximum l’économie, de « démanteler l’Etat ». Si l’on suit ce raisonnement, nous ne pouvons que constater ainsi que le montre le documentaire, que des changements importants se sont insinués dans l’organisation économique d’un pays ou d’une région à la suite d’une calamité naturelle ou d’une guerre. Deux exemples parmi tant d’autres sont parlants. D’abord, après le Tsunami, l’expropriation de pêcheurs au profit de promoteurs immobiliers prenant possession sans vergogne du littoral.

Et puis, la guerre en Irak. Il s’agit là d’un bouleversement provoqué par le gouvernement américain pour – au prétexte d’établir la démocratie dans ce pays -, fournir de nouveaux marchés juteux notamment aux entreprises américaines et de privatiser certaines activités comme une partie de l’armée et de la sécurité. C’est Paul Bremer, l’administrateur US mis en place après l’invasion qui défend cet objectif dans le film, sans fard. Une large part du documentaire est consacrée à l’affaire Irakienne et l’on voit bien comment « la thérapie de choc économique » fonctionne, comment l’Amérique s’est offerte de nouveaux débouchés sur un tas de ruines. Ainsi, de nos jours se développerait « une nouvelle économie basée sur la peur » et sur le vide idéologique. Ce fût le cas après les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, mais l’on peut alors légitimement se demander quelle est la part de supputation (allant même jusqu’à des thèses complotistes) et la réalité, en somme une réaction sécuritaire à des attentats meurtriers…

C’est là où le bât blesse. Si ce documentaire, formidable travail de recherche d’archives et de montage, nous narre formidablement bien l’histoire économique de ces trente dernières années à travers le prisme de la montée du néo-libéralisme, certains partis pris des auteurs sont contestables. Pour preuve, la thèse principale de Klein relayée par les cinéastes, qui fait le lien entre torture, psychiatrie et économie affaiblit le propos et la démonstration qu‘ils sont censés apporter plutôt que de l’étayer. On a souvent l’impression que les auteurs découvrent ce qui est établi depuis longtemps et qui est bien antérieur à leur période d’investigation. On peut affirmer qu’avec ou sans les théories néo-libérales de Milton Friedman et de ses Chicago boys, les vainqueurs de la guerre ont toujours trouvé dans cette dernière une source de profits. Les USA ont assis leur suprématie économique mondiale sur le deuxième conflit mondial, à l’époque rooseveltienne. De plus, l’arrivée concomitante au pouvoir de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, grands partisans des thèses monétaristes, est beaucoup plus le résultat du hasard que d’un complot ourdi par quelques puissances occultes. Autre erreur : la guerre des Malouines remportée par Thatcher n’a rien à voir avec la politique libérale qu’elle imposait à ce moment-là en Angleterre.

En définitive La Stratégie du choc, par ailleurs remarquable dans sa finition, laisse une impression mitigée. Il a le grand mérite de nous alerter sur les ravages du libéralisme, en vogue depuis le début des années quatre-vingts mais pas l’ombre à l’horizon d’une réflexion alternative ni de contre-exemples d’Etats redistributeurs et keynésiens. Pas toujours d’une grande objectivité, ce film n’appronfondit pas son sujet et n’offre pas de contrepoint. Et l’on hésite à diaboliser Milton Friedman, comme le font les auteurs. Seul en attendant son prix Nobel, il apparaît pour ce qu‘il est, un professeur dont quelques charlatans vont prendre les théories pour argent comptant.


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