La Rose pourpre du Caire

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Un hommage à la magie du cinéma.

Sorti en 1985, ce quatrième film de la période Mia Farrow, dont il était tombé fou amoureux, est certainement le plus beau rôle qu’il lui aura offert (avec peut-être Alice -1990) et c’est aussi un très bel hommage à la magie du cinéma. Quoi de plus emblématique alors que ce film pour célébrer la réouverture des salles de cinéma après le confinement. En effet, toute la vie de Woody Allen est dévolue au cinéma. C’est un art qu’il a pénétré comme par magie, comme dans un rêve à l’instar de ce film chef-d’œuvre. A la manière de Flaubert qui prétendait être Madame Bovary, Woody Allen pourrait être complètement assimilé à son héroïne, Mia Farrow – actrice magique et marquée du sceau du cinéma, fille de Jane la Tarzane, Maureen O’Sullivan, ex-femme de Frank Sinatra, interprète inoubliable de Rosemar’y Baby (1968) de Roman Polanski – et qui ne cesse d’entrer et de sortir du film. Dans ce sens, elle est un peu semblable à Woody Allen qui jouait alors souvent dans ses propres films, qui dirige fréquemment ses acteurs, regarde les vieux films du patrimoine et se dit volontiers fasciné par cette laterna magica qui est aussi le titre du seul livre publié par son maître, Ingmar Bergman. Toute la vie de Woody Allen a été dévolue au cinéma et c’est par une idée de génie qu’il lui rend hommage avec cette Rose pourpre du Caire qui fait entrer son héroïne, Cecilia, comme par miracle, dans un film et lui permet de regarder défiler les ombres sur les murs. Mais Woody Allen n’est quand même pas complètement dupe, et c’est là qu’il rejoint Jean-Luc Godard, puisqu’il ne tombe pas complètement dans le piège de la séduction des apparences et des images factices comme les prisonniers de la caverne de Platon, métaphore annonciatrice de la salle de cinéma comme l’avait déjà noté Sylviane Agacinski dans la postface du dossier « Philosophie et cinéma » (n° 94 de la revue CinemAction, premier trimestre 2000). « Si l’on ne peut plus avoir une expérience du monde sans le cinéma, écrit-elle, si l’on ne peut plus penser en faisant abstraction du cinéma, il faut bien penser avec le cinéma : en comprenant comment il a déjà façonné une part de notre façon de voir. »

Le thème du film est assez simple, mais il faut le génie de Woody Allen pour le développer. A New York, au début des années 30. Cecilia, serveuse dans un bar avec sa soeur, est malheureuse avec son mari alcoolique, Monk, qui lui vole tout son argent. Heureusement, le cinéma de son quartier lui offre un refuge romantique où elle revoit toujours le même mélodrame exotique, La rose pourpre du Caire. Cecilia comme toute midinette projette son manque d’amour sur le personnage principal, interprété par Gil Shepherd, qui l’a aussi remarquée et qui sort un jour de l’écran pour la rejoindre. Sur cette base, Woody Allen, amoureux de Mia Farrow et du cinéma en général, a tissé une belle histoire de magie et nous offre de belles images, notamment dans ce contraste permanent entre les images grises du film sur l’écran et celles aux couleurs passées de la réalité de la jeune héroïne du film. Le contraste vient d’ailleurs de cette confrontation entre le réalisme du New York des années 30, en pleine tourmente de la crise économique, et l’exotisme de cet univers où Sam Shepherd, qui ne peut supporter la vie urbaine, l’entraîne bien malgré elle, suscitant des jalousies et des quiproquos chez les personnages du film dérangés par cette intrusion. Cecilia passe, comme Alice, de l’autre côté de l’écran, qui est en fait comme une sorte de miroir aux alouettes puisque Woody Allen en profite aussi bien sûr pour dénoncer les dangers de l’illusion cinématographique. Le cinéma, pour paraphraser Jean-Luc Godard, n’est pas une image juste, mais sans doute juste une image. Mais quelle belle image !

Woody Allen rend ici hommage à l’un de ses maîtres avoués, Federico Fellini qu’il voulait faire apparaître dans Annie Hall (1977) et à qui il rendra un autre bel hommage, deux ans plus tard, en 1987, avec Radio Days, qui est son Amarcord. On a pu dire que le cinéma de Woody Allen, et ce n’est pas un reproche, est un cinéma citationnel car il cite souvent Bergman (Interiors en 1978, ou encore Maris et femmes en 1992) ou encore Federico Fellini, ou encore les Marx Brothers, sans oublier les grands de la littérature comme Tchekhov ou Shakespeare. Il a d’ailleurs, selon son propre aveu, pensé à Amarcord aussi en réalisant cette Rose pourpre du Caire, ainsi que le souligne Ava Cahen dans son ouvrage Profession cynique (L’Archipel, 2015), ajoutant tout de suite après : « Le personnage va alors traverser l’écran et rejoindre Cecilia, bouleversant alors le sens universel et rationnel des dimensions. Une disparition du personnage qui sème la zizanie dans les deux mondes, le réel et le fictif, frôlant les limites du chaos. La rose pourpre du Caire joue en effet avec les principes mêmes de la physique, avec les lois de la nature et de la gravité, la magie réussissant à tous les tromper. De la même manière que Zelig, cette comédie dramatique développe une dramaturgie qui trouve dans la (con)fusion son point d’équilibre. »  En effet, les deux films jouent sur le contraste entre réel et fiction : autant l’un (Zelig) s’appuie sur l’Histoire pour la revisiter en faisant du personnage de Zelig, interprété par Woody Allen, un homme caméléon, autant pour La rose pourpre du Caire, il se sert de son alter ego, Mia Farrow, pour montrer que, finalement, nous ne sommes à l’aise et libres ni dans la fiction trop romanesque, ni dans le réel trop tragique, ce que Cecilia définit fort bien par ces mots qu’elle dit à sa soeur dans le film : « Je viens de rencontrer un homme merveilleux. Il est fictif mais on ne peut pas tout avoir. » Et il n’y a qu’au cinéma qu’on peut se contenter de la fiction, c’est bien cela que ce très beau film raconte.

Titre original : The Purple Rose of Cairo

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Durée : 85 mn


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