La Jeune fille sans mains

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Adapté d´un conte des frères Grimm, le film de Sébastien Laudenbach est une estampe aussi sereine qu´emportée.

Derrière le moulin du meunier, un pommier en fleurs a poussé. En haut de ce pommier en fleurs, la fille du meunier a grimpé ; pauvre homme, cela lui a échappé. Alors quand un inconnu lui offre la richesse contre ce qui se trouve derrière le moulin, le meunier répond oui sans hésiter. « Malheureux », lui dit sa femme, « Tu n’as donc pas reconnu le Diable » ? En effet, le pacte est bel et bien faustien et le Malin ne tarde pas à revenir pour obtenir ce qui lui a été promis. Mais pour qu’il puisse emmener la jeune fille, elle doit être sale, entièrement sale. Et si ses mains, seules, sont propres alors il faudra bien les lui couper…
 
 

De la cryptokinographie

L’adaptation de ce conte méconnu des frères Grimm en nécessite une autre : la nôtre, tant La jeune fille sans mains diffère des productions habituelles aux couleurs franches cernées de contours nets. Ce n’est pas un dessin animé, c’est un dessin qui s’anime. Il clignote, il disparaît puis réapparaît, il respire, se brouille et se précise : il est si vivant que l’histoire semble s’écrire en direct sous nos yeux. Les paysages et les personnages sont dressés en trois coups de pinceaux, par touches ou par aplats, et jamais dans leur intégralité. Le regard relie les traits les uns aux autres pour combler les vides du dessin ; le film est une œuvre non pas à quatre mains, mais à deux (celles du cinéaste)  et à deux yeux (ceux du spectateur).

Cryptokinographie, tel est le nom énigmatique de la méthode employée par Laudenbach pour réaliser La Jeune fille sans mains. Une « animation qui ne prend son sens qu’en étant en mouvement. » Cette contrainte, il l’avait déjà utilisée dans OSN – court métrage de 2014 – au sein de l’Ouanipo (L’Ouvroir d’animation potentielle), variation sur l’Oulipo des Pérec et des Queneau. Le résultat donne  une image « in-finie » comme le dessinateur aime à la définir dans le dossier de presse.
 
 

 

Une émancipation cruelle et sensible

Cette esthétique de l’esquisse, voire de l’estampe, s’accorde au caractère indéfini du conte : pays indistinct, temps indéterminé et archétypes plutôt que personnages. La forêt abrite le Diable, le château le prince… chaque lieu relié à l’autre par l’onde qui lie le destin de la jeune fille au sien. Et s’oppose à la rigidité de l’or. La chambre et plus tard les mains forgés dans ce métal lourd seront une prison pour la jeune fille. Libérée de ses mains pesantes qui la figent dans une pose enfantine, elle sera de nouveau livrée aux fluctuations et remous du hasard, mais aussi à la liberté. Un temps paisible, l’aquarelle de Laudenbach se fait tourbillon puis houle et tempête, transmuant une image sereine en vision terrifiante : mains tranchées, agneau énuclé, Diable aux allures de satyre, le conte conserve sa cruauté et sa violence.

La Jeune fille sans mains est le parcours d’une émancipation. Tout le monde se dispute le contrôle de l’héroïne : son père la vend, le Diable désire l’emporter et le prince souhaite la faire sienne. Paradoxalement, le traumatisme vécu au début de son parcours sera pour elle l’occasion de prendre sa vie en mains et d’enfin vivre comme elle l’entend.

Titre original : La Jeune Fille Sans Mains

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Durée : 73 mn


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