La Grande Sauterelle

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Réfugié à Beyrouth pour échapper à Marco (Georges Geret), Carl (Hardy Krueger), un voleur de charme, retrouve un ancien ami avec qui il fait le projet de kidnapper un milliardaire à la sortie du casino, le soir où il aura gagné beaucoup. Puis il fait la connaissance de Salène (Mireille Darc), une jeune fille très bien, dont il ne peut pas ne pas tomber amoureux.

Georges Lautner fut souvent associé à un certain type de cinéma viril à l’univers typiquement masculin, ses distributions chargées en fortes personnalités (Lino Ventura, Jean Paul Belmondo, Bernard Blier, Michel Constantin) et l’aura jamais démentie de ses films de gangsters confirmant cette idée. Et pourtant, paradoxalement, la relation artistique et amicale la plus étroite de sa carrière, le réalisateur la doit à l’actrice Mireille Darc. Côte à côte, du début des 60’s au milieu 70’s, ils auront évolué chacun dans leurs registres, lui diversifiant son style et ses thèmes et elle gagnant peu à peu ses galons de star.

Drôle de star

Après un diplôme d’art dramatique obtenu à l’université de Toulon en 1959, le premier rôle au cinéma de Mireille Darc, la comédie Pouic Pouic (où elle joue la fille de Louis De Funès) annonce les contours d’une carrière étonnante. Son physique avantageux semblait la destiner à rejoindre tôt ou tard les icônes féminines du cinéma français de l’époque, les inaccessibles Brigitte Bardot et Catherine Deneuve. Si elle saura tout autant jouer de son aura glamour que les deux belles précitées, elle se démarque cependant par sa faculté à se prêter le plus naturellement du monde à la franche gaudriole du cinéma loufoque de Lautner (quelle actrice française aurait osé la scène d’amour extravagante de Laisse aller c’est une valse ?). Leur premier film ensemble, Des pissenlits par la racine, la voit jouer une fausse ingénue menant par le bout du nez un joyeux casting de fous furieux (Louis De Funès, Maurice Biraud, Darry Cowl, Francis Blanche) aux trousses d’un ticket de tiercé gagnant caché dans la poche d’un cadavre. La collaboration est lancée et c’est en veuve sexy qu’on la retrouve dans Les Barbouzes, délirante variante espionnage des Tontons Flingueurs où elle fait montre d’un second degré et d’un timing comique peu commun. Le film à sketch Les Bons Vivants où elle transforme en maison close à son insu la demeure du pauvre Louis De Funès use à nouveau de cette image légère et sexy tandis que Fleur d’oseille lui permet d’aborder un registre plus dramatique en jeune mère traquée par des gangsters. Lautner lui offrira d’ailleurs des rôles plus adultes et aux registres plus nuancés dans les années 70, le formidable thriller Les Seins de Glace où elle campe une déséquilibrée mentale et La Valise où elle est la graine de discorde entre les deux espions joué par Michel Constantin et Jean Pierre Marielle. La Grande Sauterelle se situe à mi-chemin entre ces deux périodes et témoigne de l’importance prise par l’actrice dans le cinéma de Lautner. Véritable ode au charme et à la beauté de Mireille Darc, le film est un des plus atypiques et attachant de son auteur.

Détour

S’ouvrant sur les bons mots de Michel Audiard prononcés par le redoutable tueur incarné par Georges Geret et d’un règlement de compte spectaculaire, tout le début laisse à penser que l’on est dans la comédie policière typique dans laquelle Lautner est passé maître. La fuite du héros à Beyrouth apporte une touche exotique et dépaysante tandis qu’on bascule dans le caper movie au mode opératoire assez original dans le genre, et un univers de casino toujours aussi cinématographique.

Le film suit ainsi son cours, vampirisé au fur et à mesure par la présence de Mireille Darc, jolie fille que Hardy Kruger reluque indifféremment avant que diverses rencontres dues au hasard les poussent progressivement l’un vers l’autre. Lautner soigne tout particulièrement les apparitions de Mireille Darc, orchestrant progressivement son emprise sur le film par le montage et les cadrages. Jolie silhouette perdue dans un coin de décor, puis c’est un regard charmeur, un sourire ou une petite phrase narquoise qui nous la dévoile progressivement, sa présence gagnant en mystère au fur et à mesure que l’intérêt de Carl grandi pour elle.

 

Le récit s’éloigne peu à peu de sa trajectoire pour finalement totalement bousculer nos attentes lors d’un très long aparté romantique hors du temps, véritable respiration dans la narration où le couple se livre à cœur ouvert. Le personnage de Carl tendu et constamment aux aguets jusque là se dévoile, tout en doute et en fragilité tandis qu’il est impossible de ne pas succomber la Grande Sauterelle (le surnom lui restera) libre et insouciante incarnée par Mireille Darc. Plus la jolie délurée des premières collaborations avec Lautner et pas encore le sex symbol incendiaire des 70’s, juste un personnage de fille toute simple ayant soif d’aventures et de découvertes. Un vrai sentiment de liberté se ressent dans la narration et la mise en image, Lautner multipliant les expérimentations sonores et visuelles : le dialogue du couple à la voix off décalée, une scène d’amour avec un vrai/faux concert classique en montage alterné, ou encore une Mireille Darc saisie sous toutes les coutures dans un montage étonnant et s’autorisant les faux raccords les plus audacieux.

Après cet instant de grâce où le film semble s’être oublié, l’histoire reprend les rives du polar mais le cœur n’y est plus. Lautner adopte sentiment de son héros dans sa mise en scène en rendant distant et peu impliquant tout les échanges entre gangsters et le casse prévu parait dérisoire face à la perspective du héros (et du spectateur) de retrouver Mireille Darc (dont on ne saura jamais le prénom jusqu’à la toute fin). Hardy Krueger dont le casting découle de la coproduction allemande s’avère des plus convaincant, une forte ressemblance avec Steve McQueen mais avec un côté plus humain et fragile qui fonctionne autant dans le côté policier du début du film que dans la veine romantique qui suit. Sans doute un des films les plus plastiquement réussis de Lautner, où l’ambiance du Beyrouth des années 60 est remarquablement captée, autant dans son aspect hétéroclite et bouillonnant que dans son histoire notamment toutes les quelques vues somptueuses de la côte libanaise, les magnifiques ruines antiques où s’épanouissent les amoureux. La photo superbe de Maurice Fellous (collaborateur fidèle de Lautner) en fait définitivement un des films les visuellement agréable du réalisateur. Mireille Darc filmée sous tous les angles (jusqu’à l’excès) irradie l’écran, Francis Blanche en bourlingueur mythomane est très attachant, tout comme Maurice Biraud, attachant en gangster poissard. On retrouve également d’autres habitués de Lautner dans des rôles plus discret comme Venantino Venantini en milliardaire oisif.

Sous la légèreté et l’évanescence apparente, une vraie mélancolie se dégage du film culminant dans les destins contrastés des personnages à la fin du film, l’avenir radieux pour les héros et coup du destin amer pour Maurice Biraud. Pas le film plus reconnu de Lautner (problème récurrent de son œuvre Les Tontons Flingueurs étant l’arbre qui cache la forêt) mais sans doute un des plus chéri par les aficionados du cinéaste.

Titre original : La grande sauterelle

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Durée : 110 mn


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