La réussite éclatante de La Garçonnière célèbre ainsi une entente collective, le travail d’une équipe au savoir-faire indéniable. Le compositeur Adolf Deutsch livre une partition efficace et subtile, tandis que le célèbre décorateur Alexandre Trauner s’amuse à varier les échelles, construisant des bureaux immenses qui jouent sur la profondeur de champ ou un petit appartement qui écrase les distances. A ces partenaires fidèles s’ajoute une nouvelle venue, Shirley MacLaine. Avec sa coupe à la garçonne, son allure menue et son regard pétillant, elle apparaît d’emblée comme une anti-Marilyn Monroe. Cinq ans après Sept ans de réflexion et sa légendaire jupe flottante, Wilder s’éloigne du stéréotype : la femme désirée n’est plus une star insaisissable aux formes plantureuses, mais une charmante liftière, exposée aux remarques sexistes des petits mâles du personnel.
Au travail, la soumission de Baxter lui assure une certaine reconnaissance (traduite par des promotions en série) mais ses collègues le traitent avec condescendance. Humilié, exploité, rabaissé, Baxter semble un jouet aux mains de ses supérieurs, qui ne l’appellent jamais par son nom et l’affublent de sobriquets faussement sympathiques (« Buddy Boy ») – quand ils ne sont pas carrément méprisants : un tel le qualifie de « schnock » devant sa maîtresse, un autre le surnomme « Little Lord Fauntleroy » en se moquant de sa naïveté. Baxter s’écrase, subit, ne proteste même pas. En bon petit soldat de la société, il veut ressembler à ses patrons, être accepté comme un des leurs. Il reprend leurs tics de langage, collant du « wise » à tous les mots (« promotionwise », « gratitudewise », « otherwisewise »…) dans un intraduisible charabia bureaucratique. Montant en grade, il essaie un chapeau melon pour se donner l’air d’un businessman. Touchante, sa tentative paraît néanmoins dérisoire. Cette volonté de plaire, de renvoyer une image positive ne se limite pas au bureau. Ainsi, il ne détrompe pas son voisin, le très serviable Dr Dreyfuss, qui le prend pour un insatiable coureur de jupons. Baxter veut bien endosser tous les rôles, quitte à encaisser les coups de poings pour les autres – une vocation de masochiste. D’une certaine manière, il préfigure un peu le Polanski du Locataire, qui poussera dans ses retranchements fantastiques ce personnage timide, complexé, à qui son propriétaire reproche à tort d’amener « des gourgandines » à la maison.
La comédie bascule d’ailleurs sur un miroir brisé, que Baxter retrouve chez lui. Plus tard, il comprendra qu’il appartient à Fran (Shirley MacLaine), devinant alors sa liaison avec le patron. Sa mine s’assombrit aussitôt, et le film plonge dans une gravité sans retour. L’objet symbolise aussi la fêlure de la jeune femme. Derrière le sourire et les bons mots (« Ne portez jamais de mascara quand vous sortez avec un homme marié… »), pointe une fragilité qui la mènera jusqu’au suicide, dont elle réchappe in extremis. La farce vire au mélodrame, atténué par l’incroyable légèreté de Wilder. Baxter veille sur Fran avec la douceur d’une infirmière, la maintient éveillée par des parties de gin dont tous deux se fichent royalement. Le cinéaste témoigne d’une capacité virtuose à marier humour et mélancolie – hors-champ, l’ouverture d’une bouteille de champagne ressemble à la détonation d’un revolver. Même le happy end demeure d’une belle sobriété : si le célèbre « Nobody’s perfect » qui refermait Certains l’aiment chaud a entraîné nombre de gloses, la dernière réplique de La Garçonnière touche aussi fort. Alors que Baxter déclare enfin sa flamme à Fran, le spectateur attend le baiser final, mais la jeune femme lui coupe la chique par un aimable « Shut up and deal ! » (« Tais-toi et distribue ! ») Et l’amoureux transi d’obéir à ses ordres, battant les cartes avec un sourire béat. Wilder n’a plus besoin de mots pour exprimer les sentiments : la puissance de la scène suffit.