Film humaniste centré sur la rencontre de deux mondes et de deux cultures à l’orée de la forêt amazonienne, La forêt d’émeraude s’ouvre néanmoins sur une déchirure. Bill Markham (Powers Boothe), un ingénieur américain, invite sa famille à visiter le chantier dont il est responsable. Un grand barrage qui repoussera la nature sauvage à des kilomètres, et qui fera venir bien d’autres hommes comme lui, ne faisant que peu de cas des arbres déracinés à leurs pieds. La petite famille est heureuse, dépaysée sans le gris des villes, et les deux enfants jouent à quelques mètres des parents. Le cadre est familier et la déchirure n’en est que plus brutale quand le plus jeune des deux, Tommy, se fait enlever par une tribu voisine, " les invisibles ", devant les yeux de son père. La violence avec laquelle John Boorman arrache cet enfant à ses parents prend les spectateurs de vitesse. La forêt est dense, la disparition de l’enfant brusque, et le père, si rassurant jusqu’alors, après avoir regardé autour de lui, ne peut que se résigner. Même s’il le retrouvera, il ne reverra jamais plus cet enfant de 7 ans qu’il a laissé partir ce jour là. D’un plan aérien sur cette forêt interminable s’incruste alors une phrase amorçant l’ellipse qui va suivre: Bill Markham rechercha longtemps Tommy, espérant contre tout espoir. Au bout de dix ans, le barrage était presque terminé. Son fils n’était toujours pas retrouvé.

S’inspirant d’une histoire vraie, Boorman permet rapidement au père de retrouver son fils, et l’obsession de l’enlèvement, laisse place au fait accomplit: l’enfant devenu jeune homme (Charley Boorman), totalement acculturé, accueillant son père avec paix mais sans l’effusion de joie espérée. Le cinéaste aime confronter les deux cultures. Que ce soit dans l’incapacité de Bill à se déplacer dans la forêt, l’approvisionnement en armes à feu d’une tribu adverse, « Les féroces », ou bien à travers le périple qu’accomplit Tom en se rendant à la ville. Western transposé dans la forêt amazonienne où les Indiens et les cow-boys sont facilement reconnaissables, La forêt d’émeraude trouve pourtant toute sa puissance ailleurs, dans l’utilisation de l’imaginaire que nous partageons avec son réalisateur. Des longs travellings en forêt aux poursuites caméras à l’épaule, en passant par d’amples mouvements de grues, la jungle de Boorman n’est pas seulement illustrative. S’inscrivant parfaitement dans la quête père-fils de ses protagonistes, la forêt, plus que jamais vivante, est narrative. Les courses poursuites lyriques, les lianes, les cascades oniriques, ont plus qu’un rôle poétique post-colonialiste. Ce n’est pas l’arrière goût d’exotisme qui nous tient en haleine, mais l’ensemble du cadre qui s’impose naturellement comme évident. La frontière entre cette forêt et la ville d’où vient Bill semble vouloir petit à petit disparaître. Habitable, elle nous l’apparaît physiquement comme elle l’apparaît au père de l’enfant. En rationalisant son espace, cette absence perpétuelle d’horizon, Boorman réussit à nous faire oublier que cette forêt nous semblait si hostile au départ. Si impénétrable. La communion entre l’homme et la nature n’en est alors à aucun moment complaisante car tout comme Bill, de notre place, nous y participons. Invités que nous sommes dès les premiers instants par le sourire des « invisibles ».
