La Dame de Fer n’est simplement que le deuxième long métrage de Phyllida Lloyd et c’est déjà un coup de maître. Après Mama Mia, niaise comédie musicale tendance canal nostalgie en 2008, consacrée aux tubes disco du groupe ABBA, la réalisatrice s’attaque à un sujet d’une toute autre envergure : ni plus ni moins qu’à la biographie d’une des figures politiques les plus marquantes du XXe siècle, en la personne de Margaret Thatcher, première et unique femme Premier ministre du Royaume-Uni, de 1979 à 1990.
Comment raconter la vie d’un grand de ce monde dans une fiction au cinéma ? L’exercice est forcément difficile si on le compare aux possibilités d’une biographie écrite ou même à celles d’un documentaire – qui peuvent rassembler une multitude d’informations et de points de vue différents. Pourtant le septième art compte quelques biographies réussies. Par exemple Oliver Stone avec son Nixon en 1996 dresse un portrait implacable et passionnant du président américain ; même succès pour Richard Attenborough en 1982 qui raconte dans une fresque époustouflante le parcours du Mahatma Gandhi.
À chaque fois, les réalisateurs ont donné à leur histoire un angle très fort et un point de vue particulier ; à chaque fois aussi le personnage central est interprété magistralement, qui pour Nixon par Anthony Hopkins, qui pour Gandhi par Ben Kingsley. La Dame de fer, avec le scénario d’Abi Morgan et l’interprétation magistrale de Meryl Streep répond parfaitement à ces canons.
Pour raconter la vie de Maggie, Phyllida Lloyd a choisi de faire un film intimiste. Premier courage après celui de s’être attaqué à ce sujet car l’ancienne Premier ministre britannique demeure cordialement détestée par un grand nombre de gens aussi bien à l’étranger que parmi ses concitoyens, notamment à cause de sa brutalité et de son intransigeance durant la crise qui l’opposa aux syndicats de mineurs du Midlands en 1984.
Margaret Thatcher est toujours vivante. Elle vit une retraite forcée à Londres dans le souvenir obsédant de son défunt mari, Denis. En dialoguant avec le fantôme de ce dernier interprété par Jim Broadbent, elle se remémore les événements de son existence. Ce sera le fil rouge de ce film qui à aucun moment ne prend de positions politiques, ni idéologiques mais mentionne les faits, parfois à l’aide d’images d’archives parfaitement calées dans le cours du récit. C’est Maggie qui se raconte et non pas la doxa qui a cours sur elle. C’est une tentative de plongée au cœur de ses pensées, de son intériorité, au soir de son existence. Tout son destin est relaté et quelquefois point n’est besoin de trop disserter pour rendre compte, par exemple, du caractère courageux, voire intrépide de la jeune femme, lorsque sous le Blitz en 1940, terrée avec sa famille dans une cave, Maggie n’hésite pas à braver les bombes pour sauver une plaquette de beurre… L’inflexibilité de la dame de fer préexiste déjà dans cette jeune femme (Alexandra Roach) dont l’ambition et l’ardeur au travail vont briser le véritable système de castes qui prévaut dans l’Angleterre des années 70, pour se hisser à la tête du parti conservateur puis carrément à la tête du pays.
Même si le parti pris évident de Phyllida Lloyd est de peindre le portrait de la femme avant celui de l’animal politique (et de quel cuir celui-là est-il fait !), nous ne pouvons échapper à la violence, constitutive de toute vie politique et, plus que tout autres, les mandats de Margaret Thatcher sont marqués par la brutalité. Ici les événements sont périphériques, Maggie en est le centre. Le dispositif impressionne même s’il peut paraître partial car d’aucun diront que le film glisse trop facilement sur la dureté dont a fait preuve le Premier ministre à l’occasion, par exemple, de la grève de la faim de membres de l’I.R.A. à la prison de Long Kesh en 1982. Mais, reflet de sa psychologie sinon de son âme, nous avons affaire ici à la vision d’une femme sur son existence. Donc vision forcément subjective mais pas dénuée de sentiments pour autant. L’émotion et l’ affectif sont même la trame du film. Emotion devant l’interprétation parfaite de Meryl Streep (on s’y croirait), émotion aussi devant la force d’une femme impériale au milieu d’une assemblée uniquement composée d’hommes (à la Chambre des communes). En définitive, nous sommes gagnés par l’histoire d’amour qui nous est comptée en creux. Maggie est perdue sans Denis, elle lui parle sans se rendre compte qu’elle converse avec un compagnon qui n’est plus là, on la dit d’ailleurs atteinte de la maladie d’Alzheimer. Par le prisme de cette grande histoire d’amour que Maggie essaie de retenir, c’est la grande solitude de la vieille dame qui nous est révélée et partant, contre toute attente, son humanité.