C’est en 1951 que le mythique studio RKO, alors dirigé par Howard Hawks, s’est fendu d’une adaptation. Pensez donc, le crash de Roswell en 1947 au Nouveau-Mexique et l’air du temps viennent de lancer la mode de l’ufologie en bonne et due forme. Et c’est avec acuité que le film de Christian Nyby cadre les espoirs et les inquiétudes de l’époque, au point de poser les codes et ressorts habituels du (futur) genre : soucoupe volante, alien (« l’étranger ») suspect, contrôle gouvernemental et surtout, gros problème d’endiguement de la menace laissant les responsables du secret en position de faiblesse. Un modèle du genre indéniable, terreau commun à de nombreux films de science-fiction qui lui succéderont.
Du coup, si on peut aisément y voir l’un des fondateurs du genre, le contexte de l’époque incite à la réflexion quant aux intentions et à ce qu’est censé représenter l’alien en question. Contact amical, comme l’a longtemps suggéré Spielberg, ou prémisse d’une invasion, l’être venu de l’espace y répond rapidement (comme le laisse supposer son titre, assimilant l’être vivant à une « chose »), réaction par ailleurs purement développée face aux humains l’ayant découverte. Et à l’image de l’impressionnant L’invasion des profanateurs de sépultures tourné par Don Siegel à la même période, le film de Nyby développe en filigrane la peur du communisme et les dangers s’y rapportant, comme peuvent en témoigner les militaires sur place évoquant différentes expérimentations russes pour expliquer l’étrange phénomène.
Dans le script remanié de Nyby et Hawks, permettant de produire le film à moindres coûts, la trame demeure classique et oppose la créature à l’équipe de militaires et de scientifiques présents sur place. Il y est cependant développé une pensée extrêmement optimiste selon laquelle d’une entité supérieure ne peut naître uniquement le mal absolu, espoir qui reviendra matérialisé plusieurs fois dans le film au cours de joutes verbales relativement bavardes. Car c’est par l’affrontement constant que Nyby rythme son film, opposant la rationalité des scientifiques cherchant une explication logique, au souci plus terre-à-terre des militaires de survivre. Le film reste pourtant bon enfant et n’hésite pas à faire s’égarer ses personnages dans de multiples digressions faisant retomber la tension, avant que les irruptions impromptues de la créature ne remettent tout le monde sur le droit chemin (c’est-à-dire, celui de la confrontation). Sans surprises, la créature en question souffre du syndrome du monstre de Frankenstein, mais reste puissamment iconique comme en témoigne sa première apparition, toujours aussi impressionnante grâce à un souci du cadre et une recherche de l’effet simple mais efficace.
Jouant la carte d’une certaine facilité, et contrairement à la nouvelle l’inspirant, le film fait perdre à sa créature la caractéristique de prendre la forme de ses victimes pour abuser le reste des personnes, astuce judicieusement exploitée dans L’invasion des profanateurs de sépultures par un biais détourné. Ce n’est que plus tard, dans le remake officiel de John Carpenter (The Thing, 1982), qu’on retrouve cette idée vicieuse d’un parasite prenant le contrôle de ses victimes afin d’en manipuler les faits et gestes. Un bonus non négligeable au sentiment permanent de paranoïa qu’effleure La Chose d’un autre monde avec son avertissement final : « Watch the skies ! ». Depuis, les représentations de chacun dans le domaine de la science-fiction nous ont effectivement démontré que tout ce qui tombe du ciel doit être sujet à caution, comme autant d’espoirs et de peurs à domestiquer avant de jouer avec l’inconnu.