Eastwood redonne ses lettres de noblesse au western classique tout en offrant une vision personnelle dans ce très grand film.
Après plusieurs réussites dont un brillant galop d’essai dans le thriller (Un frisson dans la nuit, 1972), et un pur diamant noir sous haute influence Leone (L’Homme des hautes plaines, 1973), c’est avec son cinquième film qu’Eastwood s’imposa définitivement parmi les plus grands. Alors que des maîtres comme John Ford ou Howard Hawks ont effectué leur chant du cygne au genre quelques années auparavant ( Les Cheyennes en 1964 pour Ford, et Hawks avec Rio Lobo en 1970) et que les anciennes gloires comme John Wayne s’enlisent dans les œuvres de tacherons comme Andrew McLaglen, les années 70 voient le déclin et la disparition progressive du western sur les écrans. Les quelques réussites apparues durant cette période n’en gardent que le cadre pour l’utiliser à d’autres fins, la fable initiatique écologique (Jeremiah Johnson de Sidney Pollack, 1972), le récit humoristique et picaresque (Little Big Man d’Arthur Penn, 1970) ou encore la grosse parodie loufoque (Le Sheriff est en prison de Mel Brooks, 1974).
Mettre en route un western dans un contexte pareil s’avère donc un pari particulièrement risqué (une situation que retrouvera Eastwood lorsqu’il s’attaquera à Impitoyable en 1992). Tout commence lorsqu’un collaborateur de sa société Malpaso transmet à Eastwood le roman éponyme et obscur (édité à soixante-quinze exemplaires par une maison d’édition de l’Arkansas) écrit par Forrest Carter dont le traitement des conséquences de la guerre sur les personnages le séduit aussitôt. Bien qu’un premier script en ait déjà été tiré par Sonia Chenus, Eastwood, désirant y intégrer plus d’action et de suspense (une des différences majeures avec le livre étant que Wales est traqué jusqu’aux derniers instants du film) décide d’en confier la réécriture à Philip Kaufman. La qualité de son scénario incitera Eastwood à lui confier la réalisation du film, tout comme il avait donné sa chance au tout jeune Michael Cimino pour Le Canardeur . La suite est connue, des différents artistiques incitent Eastwood producteur à renvoyer Kaufman et reprendre le film lui-même, péripétie qui créera un précédent dans l’industrie, un film ne pouvant désormais plus être repris par un membre de l’équipe en cas de renvoi du réalisateur, du moins officiellement. Si visuellement et thématiquement dans L’Homme des hautes plaines, Eastwood payait son tribut au western spaghetti, cette influence est plus nuancée ici.
On retrouve le réalisme propre à Leone avec un Ouest rude et crasseux, menaçant et glauque mais dénué de toute flamboyance, porté par la splendide photo automnale de Bruce Surtees. Délestée de la dimension baroque et humoristique de Leone, l’Ouest vu par Eastwood s’avère être un monument de barbarie dans les moments les plus violents du film (le massacre de la famille de Josey, la tentative de viol collectif sur Sondra Locke). Finalement, c’est dans l’iconisation du personnage de Josey Wales qu’il faut le plus voir l’empreinte de Leone. Précédé par sa réputation et craint partout où il passe, Wales s’affirme comme un guérillero quasiment invincible. Fidèle à sa politique du "moins fait le plus", Eastwood s’avère particulièrement menaçant par sa simple présence (filmé presque toujours en légère contre plongée montrant son ascendant sur ses adversaires) et les nombreux duels qui parsèment le film sont des merveilles d’attente et de tension au bord de l’explosion. La scène où il fait face aux comancheros seul dans le désert portant un drapeau blanc (qui s’avère être accroché à un fusil) est très réussie dans cette veine. La caractérisation du personnage avec sa fameuse manie de cracher sa chique est une formidable invention, au potentiel comique ou dramatique selon les situations et renforçant la désinvolture et la froideur du personnage (comme lorsqu’il crache sur les cadavres de ces adversaires les plus féroces) tout comme certaines fameuses répliques marmonnées entre ses dents d’un ton glacial (une des spécialités d’Eastswood) dont certaines sont devenues légendaires.
Bounty hunter : "You’re wanted, Wales."
Josey Wales : "Reckon I’m right popular. You a bounty hunter ? "
Bounty hunter : "A man’s got to do something for a living these days."
Josey Wales : "Dyin’ ain’t much of a living, boy."
Le film a le mérite d’aborder un sujet peu traité : l’après-guerre de Sécession. Quelques années à peine après le retrait des dernières troupes du Vietnam, le sujet s’avère avoir des résonances contemporaines avant qu’il soit abordé plus frontalement dans des œuvres futures. Des aspects peu abordés jusque-là concernant la guerre de Sécession nous sont montrés dans toute leur crudité, atténuant du coup le manichéisme Nord/Sud de rigueur : les vaincus sudistes trahis et massacrés lors de la reddition, les milices tuant et violant en toute impunité, la désillusion des bourgades autrefois prospères. Dans ce contexte troublé, le havre de paix possible ne peut être que la famille, Josey Wales ayant perdu la sienne de la manière la plus violente et la plus dramatique qui soit, la vengeance est désormais le seul moteur de ses actes. Pourtant bien malgré lui une nouvelle famille va se constituer autour de sa personne. C’est là qu’on aborde ce qui constitue une des plus belles réussites du film, sa formidable et attachante galerie de personnages. Wales va rencontrer durant son parcours des individus étonnants et pittoresques qu’il va être amené à protéger et avec lesquels il devra s’acoquiner, bien à ses dépens : Lone Watie, un indien malicieux et roublard (formidable prestation de Dan Georges, véritable ancien chef de tribu, un des personnages d’indien les plus humains et comiques jamais vus à l’écran avec Little Big Man), une grand-mère acariâtre et sa petite fille jouée par une toute jeune Sondra Locke qui débute là son histoire avec Eastwood) et une jeune cheyenne pleine d’allant malgré un parcours des plus pénibles. Ces liens recomposés entre des êtres que tout oppose, usés par la vie, est une thématique récurrente d’Eastwood tout au long de sa filmographie. L’homme mûr et la jeune hippie de Breezy, le vieillard acariâtre et la communauté asiatique de Gran Torino ou encore le truand joué par Costner et le gamin d’Un monde parfait sont quelques exemples des plus marquants.
Josey Wales, c’est donc aussi l’histoire d’une rédemption, le contact avec sa nouvelle « famille » atténuant son désir de vengeance et lui permettant de retrouver la paix intérieure. Les échanges avec le chef indien Dix Ours et le dialogue final avec l’ancien compagnon d’armes Fletcher (excellent John Vernon) sont de magnifiques messages de paix et de pardon qui touchent droit au cœur le spectateur. Tout comme ce plan fixe final qui termine le film de la manière la plus parfaite qui soit, tout ayant été dit, nul besoin d’appuyer inutilement, nous savons bien où se rend ainsi Josey au galop…
Avec ce très grand western, Eastwood s’affirme comme un des derniers grands cinéastes classiques américains prenant la suite de ses aînés Walsh, Hawks et Ford. Tout comme eux, sa mise en scène se révèle d’une telle évidence, d’une telle perfection, simple et directe, qu’elle rend son analyse bien difficile. Après un Pale Rider sympathique mais sonnant comme un Homme des hautes plaines aseptisé, Eastwood nous offrira un ultime très grand western avec Impitoyable dont le héros fermier rangé des fusillades semble tout naturellement un prolongement futur de Josey Wales.
Pietro Germi figure un peu comme l’outsider ou, à tout le moins, le mal-aimé du cinéma italien de l’âge d’or. Et les opportunités de (re)découvrir sa filmographie -telle la rétrospective que lui a consacré la cinémathèque française en octobre dernier- ne sont pas légion. L’occasion de revenir aux fondamentaux de son cinéma enclin à la dénonciation sociale. Rembobinons…