Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines)

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Moins improbable et inattendu qu´il n´y paraît, Desplechin marque avec son déjà neuvième long métrage une inflexion nécessaire, quoique pas totalement aboutie, dans sa filmographie.

Comme noté lors de son passage à Cannes, lors de la vision de Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines), se mesurent les écarts d’avec les précédents films d’Arnaud Desplechin, longtemps porté comme le héraut de la nouvelle génération du cinéma français des années 1990. À la violence des mots et des rapports et aux circonvolutions scénaristiques succèdent un film et une ligne en apparence plus apaisés, voire même un certain classicisme (académisme diraient les plus durs) de la mise en scène. Premier film tourné aux États-Unis, mais second à l’être en anglais (après Esther Kahn en 2000), Jimmy P. est l’adaptation inattendue de l’ouvrage de l’ethnologue-psychanalyste français Georges Devereux : Psychothérapie d’un Indien des plaines : réalités et rêve. Publié en 1951, celui-ci est sans doute la première psychanalyse transcrite dans son intégralité. Devereux y retrace minutieusement ses séances avec Jimmy Picard, Indien Blackfoot admis à l’hôpital militaire de Topeka au Kansas, spécialisé en maladies du cerveau, et diagnostiqué schizophrène des suites d’une blessure à la tête reçue lors de la Seconde Guerre mondiale.

Exit donc la choralité propre jusqu’alors à celui qui évoquait l’un de ses premiers films comme un western (La Vie des morts, 1991), de même que l’étude de cellules familiales dysfonctionnelles. Pour la première fois peut-être, le trauma s’exploite au singulier. Quand bien même le début est très beau (l’exploration des troubles de la vision de Jimmy), le film ne prend réellement son essor qu’à partir de la confrontation entre l’Indien et son thérapeute assez peu conventionnel. Mathieu Amalric – fidèle et quasi alter ego de Desplechin – et Benicio del Toro forment ce couple antipodaire, rencontre de deux physiques et de deux tempéraments. De films en films, on redoute un peu de se lasser du caractère volontairement joueur d’Amalric. Il n’en est rien. Comme en renfort, l’un des médecins de l’hôpital le met en garde dès son arrivée : « Ne soit pas exubérant » ! Moins évidente pourtant que pour les personnages de Un conte de Noël (2008) ou surtout de Rois et reines (2004), son interprétation virevoltante, quasi dansante, porte le film par la fébrilité tant du personnage que de l’acteur. À tel point que tout ce qui n’appartient pas à la relation entre les deux hommes, soit leur vie personnelle et sentimentale, apparaît comme superflu (voire redondant chez Desplechin comme la lecture de lettre face caméra de l’amante de Georges qui convoque immédiatement le souvenir de l’Emmanuelle Devos de Rois et reines) alors même que cela en forme le contrepoint et la respiration nécessaire.

 

Spécialiste des Indiens, avec lesquels il a vécu et parmi lesquels il se fera enterrer, Georges Devereux séduit Jimmy Picard par sa connaissance de la culture et de la langue des natifs américains. Souvent Devereux demande le nom indien d’une personne ou d’un mot, de même que sa signification précise, s’empressant de le noter dans son carnet. Loin d’être seulement la mise en images de l’intérêt réel de l’ethnologue-psychanalyste, il s’agit bien là aussi de la mise en avant du langage comme thème majeur du film. Arnaud Desplechin confiait récemment que son film marquait la « rencontre de deux personnes qui ne sont pas vraiment américains […], deux personnages qui vont apprendre à être américains » (1). Comme Jimmy, naviguant entre deux langues et deux cultures, Devereux est en effet Français, mais aux origines juives et hongroises qu’il nie, s’exprimant en anglais. Cette dualité semble alors au cœur du film. Chaque élément ainsi bifide voit sa signification varier : l’anglais recouvrant le langage psychanalytique, clinique, mais qui finalement ne rencontre que mal les problèmes réels, les désubjectivant ; la langue indienne, imagée mais plus concrète, de même que les rêves ou les dessins de Jimmy, est alors à même de pointer le mal. Il ne s’agit pas ici de monter le trauma psychiatrique contre la blessure de l’âme, mais, passant de l’un à l’autre, d’essayer de réunir les deux pour les transcender, relier le concret et le symbolique dans un film qui, au-delà du seul cas psychiatrique de Jimmy P., serait sans doute à envisager dans l’optique plus large de l’histoire indienne.

Finalement, les éléments de la filmographie d’Arnaud Desplechin finissent par réapparaître redisposés dans ce film, n’occupant plus une place centrale, mais formant les angles d’accroche du récit. Les doutes qui surgissent devant Jimmy P. sont ainsi moins liés aux nouvelles directions prises par le réalisateur que par leur apparent inaboutissement. À l’inverse des films précédents, Jimmy P. préfère, et de manière assez belle, la ligne droite aux volutes et la crise (la dispute sur la religion) n’est que plus forte parce qu’elle est cette fois contenue au lieu d’être explosive. Mais face à cette absence d’oscillations, Desplechin semble perdu, comme si cette linéarité nouvelle chez lui l’empêchait de conclure au bon moment, l’ultime scène étant plus que de trop. C’est dommage, mais cela vaut bien plus que l’épuisement des formes passées qu’on pouvait redouter à la suite de Un conte de Noël. Dès lors, Jimmy P. vaut autant pour lui-même que pour les promesses qu’il porte en lui.

(1) Elisabeth Lequeret, Tout les cinémas du monde, diffusée le 20 juillet 2013 à 17h10, RFI.

Titre original : Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des Plaines)

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Durée : 116 mn


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