Jardin d’été

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La fin et le début

Petite bande

À l’orée des vacances d’été, dans le Japon du début des années 90, trois enfants s’interrogent sur la mort et sont fascinés par un vieil ermite qui, dit-on, va bientôt trépasser : ils décident de se rapprocher de lui. Bâti et structuré autour de ce rapprochement, Jardin d’été narre l’apprentissage réciproque qui découle de cette interaction, et qui consiste en la maturation pour les uns, la rédemption pour l’autre. Une mécanique scénaristique aussi classique que maîtrisée, chacun des trois enfants disposant de particularités physiques ou psychologiques les rendant aisément reconnaissables auprès d’un public qui s’identifie ainsi très vite à eux. Pour garantir attention et suspense, Shinji Somaï distille parcimonieusement les informations quant à la vie intime de chacun de ses personnages, juste assez pour faciliter l’empathie, mais pas trop pour mieux en appeler à l’imagination et impliquer le public.

Rebond

Ainsi, le premier attrait de Jardin d’été consiste en ce qu’au travers de cette rencontre, est abordé des thèmes graves : la mort, les fantômes de la Seconde Guerre mondiale, par le biais de points de vues enfantins ; chacun de ces enfants, à mesure qu’ils se rapprochent de l’ermite, discutant frontalement de ces sujets d’adulte. La particularité étant que le ton naturellement guilleret employé par ces jeunes protagonistes entre en contradiction avec la lugubre tonalité de ces questions. Ce qui génère une forme de malaise général, pousse à la réflexion et amène logiquement à spéculer sur l’origine de cette obsession de la mort chez des rejetons. Un questionnement qui permet à l’auteur de pousser, par rebond, son public vers des réflexions sur des thèmes plus larges et délicats : l’éducation, l’impact de la modernité sur la cellule familiale, la façon dont le non-dit, l’amnésie volontaire et l’absence de justice forgent l’identité.

Les lapins et la tortue

Accompagnant ce parti pris scénaristique, l’auteur crée et modèle en partie son esthétique pour accentuer le contraste de sa situation initiale et, ainsi, mieux perturber son public pour le pousser à la discussion. Pourvue de superbes couleurs chaudes rendant grâce aux ambiances estivales d’une ville de campagne, la colorimétrie détonne avec les sinistres sujets abordés. De plus, chaque cadre tend à se mouvoir autour de la bande de gamins et de l’ermite, notamment dans de superbes plans séquences (ce qui accroît naturellement la tension des scènes) les liant visuellement, tandis que leurs mouvements au sein des décors contredisent cette union. Les enfants, pourvues d’une énergie électrique, accaparent tout l’espace à disposition en s’y mouvant en permanence, tandis que le vieil homme, lui comme d’autres de sa génération, tend à l’immobilité.

Une ombre qui plane

Accompagnant cela, le flot de paroles des gamins, associés aux bruits de l’été notamment les grillons, en rupture avec la nature des discussions et des révélations concernant la Seconde Guerre mondiale, participe à l’osmose contradictoire observée. Ce qui met intelligemment en scène la rupture immuable entre la génération ayant connu la guerre et la jeunesse née bien après la reconstruction, mais qui en subit encore les conséquences, malgré les tentatives de conciliation. L’ensemble donne une profondeur tragique à Jardin d’été. Un aspect qui est accentué par l’usage même des plans séquences qui, couplés aux mouvements d’appareil fluides, donnent une forme de vie autonome à la caméra. Une caméra qui prend dès lors, symboliquement, l’allure d’une entité invisible : la mort, tournant autour des personnages sans qu’ils s’en aperçoivent et qui condamne donc leur entreprise d’union à l’échec.

Rêve et sensations

Enfin, ponctuellement, l’auteur casse son principe d’observation objective des événements, notamment lorsque ses jeunes personnages sont sujets à des émotions fortes, pour épouser uniquement leurs perceptions de l’instant. Durant ces moments, la caméra devient le relai exclusif des sensations de ses protagonistes, qu’elles soient forgées par la peur, la joie, l’angoisse ou l’excitation. Ce qui montre ainsi comment la subjectivité déforme la réalité et rend complexe sa compréhension. Ces séquences à la limite de l’onirisme donnent aux dites scènes des accents fantastiques, surnaturels et permettent de varier le rythme du film. Un rythme qui en devient dynamique et qui favorise donc l’impact des rebondissements scénaristique sur le public. Cela garde aussi le film de tomber dans un naturalisme ennuyeux, en faisant de lui une œuvre aussi bien lyrique qu’organique.

Pour la première fois en salle

Probablement inspiré par Yasujiro Ozu, Simon Somaï démontre avec ce film, que son talent consiste à se placer sur une intersection : celle du drame familial et du film de vacances, rejoignant à ce titre son contemporain Takeshi Kitano. Il interroge intelligemment, de façon oblique, les complexités de la société japonaise, de sa culture et, par ce biais, pose des questions profondément humanistes qui concerne tout à chacun. Irokazu Kore-Eda est l’un des héritiers de cet auteur un peu trop oubliés et qu’il faut redécouvrir, d’autant plus que nous avons la chance de le faire via une superbe restauration 4K qui rend grâce à chaque parti pris esthétique employé. Tout se passe comme si ce film avait été tourné l’année dernière et sortait pour la première fois sur nos écrans.

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Durée : 1H 53mn mn


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