Ivre de femmes et de peinture (Chihwaseon)

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Peut-être existe-t-il un mot, en coréen, que l’on pourrait traduire dans notre langue par « beauté des choses fugaces ». Ce serait alors ce mot là qui siérait parfaitement à Ivre de femmes et de peinture. Il est vrai que le sujet s’y prêtait, puisque le film est une biographie romancée du peintre coréen Jang […]

Peut-être existe-t-il un mot, en coréen, que l’on pourrait traduire dans notre langue par « beauté des choses fugaces ». Ce serait alors ce mot là qui siérait parfaitement à Ivre de femmes et de peinture.

Il est vrai que le sujet s’y prêtait, puisque le film est une biographie romancée du peintre coréen Jang Seung-Up. Occasion donc d’exhiber des calligraphies superbes qui, à coup sûr, dépayseront les spectateurs occidentaux que nous sommes. Mais c’est l’intégralité de ce portrait qui est filmée sur le mode du tableau. Ivre de femmes et de peinture est une œuvre transfigurant la vie en art, enchevêtrement doucereux de couleurs et de chairs, de larmes et de cris. Un plan serré sur une fleur en train d’éclore, un panoramique sur un plan d’eau reflétant les rayons d’un soleil couchant, un plan fixe sur une nuée d’oiseaux prenant leur envol…

Bien sûr, on pourra toujours opiner qu’Im Kwon-taek, cinéaste vénéré en Corée, joue sur une surenchère de lyrisme et de poésie, que le montage quelque peu simpliste du film est uniquement destiné à « allonger » des séries de plans magnifiques mais servant très peu l’intrigue. Et que celle-ci, finalement, est assez creuse et triviale, dressant le portrait pour le moins prévisible d’un peintre taré, vivant dans une sorte de bulle, sans conscience de la réalité des choses.

Mais la beauté du film sait aussi se mettre au service de l’exploration du protagoniste. Ivre de femmes et de peinture est plus qu’un hommage à un peintre ou à la peinture, car le film peut se comprendre comme une mise en images du processus de création artistique. Jang Seung-Up est la figure de l’artiste qui n’existe que dans la création, elle-même exutoire à ses pulsions les plus profondes, sexuelles notamment. Il y a quelque chose de profondément mystérieux et d’insaisissable dans la personnalité du personnage principal : cette volonté de persévérance de l’être, cette véritable rage d’exister, de croître, de s’étendre. Plus que quiconque, l’artiste n’est-il pas celui qui vit sur le fil du rasoir, entre l’être et le non-être, le sensé et l’absurde ? Pour lui, créer, c’est vivre et survivre. L’art est une affirmation de l’être qui vient du plus profond de l’artiste, et la création le fruit d’une poussée pulsionnelle aux origines forcément somatiques.

Mais finalement, ces divagations sur l’art se révèlent peut-être assez secondaires. Certes, il serait quelque peu dommage de passer à côté de la description qui nous est faite de l’artiste. Mais Ivre de femmes et de peinture marque les esprits parce que justement, il nous invite à découvrir l’art non pas à travers des mots et des discours, mais à travers « la beauté des choses fugaces ». C’est bien là la seule conclusion que l’on tirera : devant tant de beauté, notre esprit se ferme et notre cœur s’ouvre. Car il est des films qu’il est préférable de ne pas penser pour mieux les ressentir.

Titre original : Chihwaseon

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Durée : 116 mn


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