La comédie des frères Coen, Intolerable Cruelty (Intolérable Cruauté), grâce aux thèses énoncées par Stanley Cavell dans son livre A la Recherche du Bonheur, Hollywood et la comédie du remariage, s’ancre t-elle dans une catégorie précise de comédies américaines ? Participe-t-elle à la réactivation d’obsessions qui ont parcouru le cinéma classique hollywoodien dans les années 30-40 ?
Le film ruisselle vraisemblablement des points cités dans le livre du philosophe américain, ainsi que des récurrences stylistiques, des motifs communs avec deux autres comédies du remariage classique : His Girl Friday d’Howard Hawks, et New-York-Miami (It Happened One Night) de Capra. Ces deux films cerneraient le film réalisé par Joel Coen grâce au satyrisme d’une part, et au romantisme acide d’autre part, qui innervent les relations entre les hommes et les femmes. A cela s’ajoutent les idées cavelliennes sur la recherche du bonheur made in Hollywood. Quelles sont-elles ?
La première thèse de Cavell est que la comédie du remariage constitue le noyau central de la comédie classique hollywoodienne. Intolérable Cruauté ne représente pas, à proprement parler, le noyau d’un genre tel que la comédie, mais ce film participe, à sa manière, d’un héritage assumé de la diatribe hollywoodienne contre les institutions américaines, comme le mariage, le divorce, l’argent, le partage des biens… Intolérable cruauté épingle les dérives américaines du droit matrimonial où le moindre divorce devient un règlement de comptes. Ce film compose une véritable diatribe contre un système méprisant, où le mariage sert d’alibi à la guerre des sexes. L’opus des frères Coen est un film qui expose habilement et esthétiquement l’héritage de l’ancienne comédie hollywoodienne (comme l’a signalé Jean Loup Bourget : « … Les loufoqueries à la Sturges voisinent, comme chez Sturges, avec un dialogue scintillant, que Clooney et Zeta-Jones manient avec une virtuosité de bretteurs. Sous les éclats du baroque, c’est le classicisme de Hawks qui affleure. »*)… Et de l’Ancienne Comédie selon Cavell par conséquent. Il le dit dans le premier chapitre de son livre : « Ce que je qualifie de comédie du remariage est plus étroitement apparenté à la Comédie Ancienne. » C’est la jeune femme qui détient la clé pour une conclusion heureuse de l’histoire. Il s’agit de « ré-unir », selon l’expression cavellienne. C’est le cas dans Intolérable Cruauté, où tous deux se marient puis se séparent, avant de réaliser que leur amour est plus fort que les obsessions professionnelles.
La seconde thèse, après celle du genre et de l’héritage, repose sur le cadre social du film : la richesse, l’opulence, le luxe. L’Amour, l’argent, la beauté, la morale… Et deux représentants cyniques de l’«American Way of life». On le retrouve concrètement dans le film de Hawks, His Girl Friday. Les frères Coen gèrent cette filiation en donnant à leurs personnages toutes les possibilités de leurs exigences. Lui est un avocat spécialisé dans le divorce et elle, une professionnelle de l’arnaque. Ils vivent dans l’excès. Le cadre social n’est pas une barrière à leur union – autre point commun avec le genre de la comédie du remariage…
La troisième thèse, c’est que le genre naitrait tout armé. Il a une logique, selon Cavell. C’est une poétique ouverte. Le film en question prend en charge son héritage. Dès lors, on peut considérer Intolérable Cruauté comme une possibilité de comédie du remariage. Une possibilité seulement, en tout cas pour le moment. Cavell étudia la comédie du remariage en mettant en avant de sa réflexion philosophique la création, la naissance d’une femme nouvelle, la différence entre les sexes, les relations dans un couple, l’amour en général, la reconnaissance, le sursis, l’autre…
Le romanesque, présent dans les comédies du remariage, nimbe les œuvres cinématographiques d’une vision plus ou moins enchanteresse du monde représenté. Ce qui participe à ce romanesque, c’est la définition de l’humain dans ce qu’il a de physique, de comportemental et de psychique. Les personnages ont la trentaine et… sont immatures. Puis, leur juvénile découverte de l’amour s’accompagne d’un diamétral et ontologique déclin de l’envie lié aux espérances, à l’expérience et aux déceptions de la vie. Un premier bilan d’une vie riche en rebondissements, favorisant un nouveau départ, sans plus de problèmes sociaux.
Les comédies du remariage représentent un monde dans lequel le couple est la clé de voûte d’un système de vie. Qu’il soit tourné en dérision ou non ! La réaffirmation de l’autre, par le renversement des polarités du pouvoir, explore des possibilités alternatives pour les couples en question. Ils deviennent forcés d’échafauder des plans, d’improviser, pour rester au contact de l’être cher. Les hommes sont mis dos au mur. Vivre sans l’autre est une avarie, puisque cela entraîne un dénudement moral et psychologique… Cependant, ce savoir ne s’acquiert pas. Il révèle une impossibilité, à moyen terme, de vivre sans son autre moitié, comme le répète le vieil adage. Dès lors, la quête de la comédie du remariage peut aussi s’apparenter, en plus d’une lutte contre le scepticisme de la crise de 29, puis des guerres en Afghanistan ou en Irak pour le film des frères Coen, à un déniaisement de la condition humaine en général. Une lutte implicite contre un certain obscurantisme amoureux et passionnel. Point de démoralisation. Pour cela, les réalisateurs instillent à leurs comédies un humour bon enfant, une immaturité et une naïveté croquignolette. D’où, comme l’a démontré Cavell, le cadre luxueux, opulent, dans lequel évoluent les protagonistes avec un « happy ending » de rigueur, socle de plénitude existentielle.
L’étude du dossier qui est présentée s’effectuera par une argumentation unique, sans chapitres ni partie, mais par l’entrelacement des thèmes, concepts et idées de Cavell. De plus, elle sera agrémentée d’une vision personnelle des trois films étudiés, pour tenter de tisser un réseau d’intuitions à la fois complémentaires et particulières à chaque film.
Intolérable Cruauté, le film des Frères Coen, est, à bien des égards, une possibilité de comédie du remariage contemporaine. Certes un peu kitsch, et baignant dans le royaume du superficiel. Le titre est le qualificatif qui désigne Marylin Rexroth, le personnage féminin joué par Catherine Zeta-Jones. Le film des frères Coen raconte l’histoire de Miles Massey, avocat (mélange de Clark Gale et de Cary Grant), très séduisant (il ne cesse de se regarder dans la glace), qui s’est spécialisé dans les divorces, en choisissant une clientèle très riche. Il s’arrange pour anéantir le mari le plus riche au profit de son « ex », et vice-versa. Cette fois, il a une rude partie à mener contre la ravissante Marylin Rexforth, une croqueuse d’hommes riches, qui vit dans un leurre permanent : elle plume les riches pigeons pour l’indépendance et la liberté. Il en résulte un sentiment étrange de pitié pour cette femme qui apparaît comme l’adultère d’elle-même, aveuglée par la superficialité des dollars et de la richesse. Cette «auto-tromperie » se symbolise par une idée intéressante : un hiératisme glacial. Professionnelle de la trahison, elle se trahit. Elle n’est que l’inadéquation d’elle-même. Les deux personnages principaux constituent les dignes représentants, caricaturaux et cyniques, de l’« American Way of life ». La célèbre maxime « Home Sweet Home » doit sortir vainqueur d’une épreuve telle que la séparation, la distance, les disputes ou le divorce.
Film réalisé par de jeunes réalisateurs américains, cinéphiles nourris au biberon du cinéma classique hollywoodien, leur comédie regorge évidemment de clins d’œil et coïncidences formelles et spirituelles ayant un lien direct avec les comédies qui forment le noyau central, d’après Cavell, de la comédie classique américaine, après l’avènement du parlant et l’arrivée du son.
Tout d’abord, concrètement, le film parle de plusieurs mariages du personnage féminin, et d’un remariage entre les deux acteurs principaux. Miles se laisse piéger par le vrai amour pour Marylin… Ils se marient puis se séparent dans la foulée. Puis, pris dans un flot de remords, et réalisant qu’elle aime réellement Miles Massey, Marylin Rexroth, décide de valider leur mariage. Le film oscille entre la comédie romanesque du début du siècle dernier, et la satire politique que l’on retrouve dans His Girl Friday de Howard Hawks. Cette fois, l’avocat a une rude partie à mener contre la ravissante Marylin. Auparavant, il était en périphérie de la tragédie du couple marié ; cette fois il est le centre de gravité du déclin de cette institution, de l’union même entre deux êtres.
Comme en témoigne l’affiche du film, il convient, comme dans toute comédie du remariage, de neutraliser l’ennemi. Une lutte de pouvoir pour l’affirmation de l’ego, de la masculinité, de la virilité, réduite à sa plasticité première, ou de la féminité… De ce nouvel élan naît, du moins germe, une femme nouvelle, une relation au monde différente de ce qu’elle fut. Le cadre, lui, reste immuable. La seule évolution du film est d’ordre ontologique. Il se greffe aux variations comportementales, émotionnelles et sentimentales des personnages une évolution d’ordre métaphysique, voire cosmique, faisant basculer le film en un maillage humain particulièrement dense. Les acteurs principaux dans His Girl Friday, It Happened One Night et Intolérable Cruauté (Ellie et Peter, Walter et Hildy, Miles et Marylin) jouent au « jeu du chat et de la souris ».
Intolérable Cruauté, comme ses prédécesseurs, enchaîne plusieurs conversions qui représentent une temporalité hybride, faite d’un présent en adéquation avec le monde filmique, et d’un ralenti relationnel, puisque le mythe du couple périclite. Ainsi, ils ne vivent pas ensemble. Cet état d’entre deux s’avère constituer un sas narratif et diégétique, permettant de jauger les volontés de l’un et de l’autre. Il permet aussi de servir de guide dans les tergiversations de l’autre, influençant un nouveau départ, ou ravivant ce qui a été perdu. De ce fait, l’état de latence amoureux dans lequel se trouve le couple fraîchement, furtivement connecté et séparé, est une période d’initiation pour un ré-apprentissage amoureux. Cette bulle narrative dans laquelle se localise le couple, permet aux protagonistes de s’exercer à une liberté jamais goûtée. Surtout pour la femme. Elle cherche à se (re)trouver avant de se ré-engager dans une relation avec son ex-époux, soit par elle-même, soit grâce à l’homme. C’est le cas pour Ellie dans New York-Miami et de Marylin dans Intolérable Cruauté. Ce cas de figure est aussi fortement révélé dans His girl Friday, de Howard Hawks. L’amour renaît entre Hildy Johnson et Walter Burns, après que cette dernière a goûté, à nouveau, à l’adrénaline du journalisme sur le terrain. La représentation empiriste de la vie promeut une nouvelle virginité, sur laquelle l’expérience de la vie en couple semble plus féconde. Elle part sur le terrain après que Walter, rédacteur en chef d’un grand quotidien, l’a envoyée réaliser un reportage insensé : interviewer un condamné à mort.
Mort comme l’amour qui liait ces deux personnages. Cette incursion vers la brutalité du monde va, paradoxalement, recréer une osmose entre les ex-conjoints, malgré de nombreux heurts. Le cadre professionnel dédouble le cadre de la sphère privée, et reproduit l’absurdité de leurs prises de bec, afin de les persuader que leur vie est à deux, l’un pour l’autre. Le montage du film, pendant les disputes téléphoniques de Walter et Hildy, crée une distance, au premier abord. On retrouve cette distance dans la première séquence de dîner entre Marylin et Miles, quand les répliques courtes fusent entre eux et que le montage s’applique à ne pas les incorporer dans le même plan pour signifier leur différence. De plus, chaque coupe est millimétrée pour que pour le changement de plans établisse un échec dans la connexion entre les deux futurs mariés, car Miles n’appartient pas au monde du mensonge. Cependant, la valeur des disputes permet de faire démarrer ou redémarrer, de créer ou recréer des situations qui constituaient auparavant le socle d’une relation qu’on devine tumultueuse, vus les caractères des deux personnages. Dans le cas des personnages principaux du film de Joel Coen, il s’agit de créer un climat, une atmosphère propice à une possible union, puisque les deux futurs tourtereaux se rapprochent grâce à la puérilité de leur jeu de séduction, basé sur une attractive répulsion, une alliance des contraires. Ils contribuent à raviver ou établir un affrontement, des souvenirs, des forces qui sont appréciés par l’autre.
Le flottement et l’indécision qui existent entre les personnages, du fait de leur séparation ou de leur première rencontre, permettent soit de libérer les rancœurs des uns et des autres, soit de jauger les aptitudes de l’autre. Sollicitant l’autre jusqu’à la colère dans His Girl Friday, et jusqu’à la tristesse pour Intolérable Cruauté, cette catharsis permet de conclure un processus de séparation entamé par le divorce, et tolérant tout excès de comportement. Seul New York-Miami combine les deux. De plus, l’ivresse du métier de journalisme est encline à provoquer l’explosion. Les envolées verbales donnent aux protagonistes une option pour (re)nouer, (re)construire une relation dépourvue de disputes. Ils forment à nouveau un couple, qui repart de zéro sans réelle épaisseur psychologique, puisqu’ils font table rase du passé. Ils rebattissent sur un champ de ruines. Le choix de l’autre apparaissant comme une évidence, après cette remise en question et le nouveau départ qui se profile dans leurs vies.
Les dialogues, parfois acerbes, souvent pétillants, créent une complicité basée sur un amour vache, une alchimie supportée et une confrontation où les forces s’égalent. L’effervescence des dialogues, du fait de l’adaptation de la pièce de The Front Page pour His Girl Friday, et de la provocation qui définit Marylin et Miles, permet de gouverner la mise en scène par le verbe. Parfois, on est proche de la saturation. Les journalistes bondissent, au sein de ce huis clos, d’un téléphone à un autre, et les personnages se renvoient la balle en permanence dans Intolérable Cruauté. Leurs dialogues vifs et ironiques, susurrés avec des voix de velours dans l’univers des comédies romantiques de l’entre-deux-guerres, n’en deviennent que plus succulents. Un jeu de «massacre » sublime et hilarant. La pulvérisation des actions, qui s’ensuit d’une distorsion du temps et de l’espace grâce au montage, dans le même cadre, travaille sur l’étirement, sur le flux tendu de leur renouveau. Au premier plan et à l’arrière plan, cela crée une certaine hystérie.
L’action a plusieurs fronts dans His Girl Friday, alors qu‘elle est plutôt ciblée, dans le film contemporain. Le mouvement provient des mots, qui régissent les mouvements de caméra comme des petits panoramiques, des recadrages brefs, soudains et vifs (His Girl Friday), des champs contre champs et des coupes brutales (Intolérable Cruauté). Seul New-York-Miami n’exploite pas le conflit des personnages par des effets de montage. Il garde sa linéarité, du fait de l’explosion de la bulle que correspond à la fugue de Ellie, car il s’agit aussi d’un road-movie initiatique, pour la jeune première. La sphère des mots, compacte et ténue, domine la sphère de la mise en scène, car les enjeux du film passent avant tout par le verbal. Il convient alors de les filmer et de les exploiter. Les voix se recouvrent, haussent le ton, murmurent, marquent des pauses… De la cacophonie naît une perte de repère auditif. Les dialogues subtils sont comprimés à l’extrême. La voix perd sa propre brillance, et mène parfois les répliques jusqu’à l’absurde. Hawks l’exploite souvent. Les frères Coen l’utilisent avec plus de parcimonie. L’exemple le plus marquant étant le premier rendez-vous au restaurant entre Miles et Marylin. Les raccords symbolisent l’échec d’une connexion par la parole des deux personnages et inclut, d’emblée, une relation de superpositions entre les deux personnes, qui ne se situent jamais dans le même plan.
Le tempo du film est fulgurant, grâce à l’utilisation du rapid fire. Le débit des paroles étant simplement renversant. Dans His Girl Friday, la folle cadence du film se retrouve dans la mise en scène, par la saturation de la bande sonore, par l’éparpillement de l’action et par la fragmentation de la matière filmique, quand chacun des journalistes répond au téléphone, l’un après l’autre. Ce processus d’énumération produit une modulation impressionnante, en gros plan. L’action est alors hypertrophiée, au profit du spectaculaire de l’information. Celle-ci devient un divertissement, le sensationnel se faisant objet de consommation. Hawks dénonce une dérive du journalisme qui tend à vendre du papier, par le détournement, au profit du mensonge.
His Girl Friday fait grincer des dents, car le renouveau commence par une affaire de politiciens véreux, qui tentent d’exploiter une exécution à des fins électorales. La défaite de l’intégrité morale est à rapprocher avec l’idée de vertige, associée aux plans en plongée sur la rue, quand l’amie de Earl Williams se défenestre. La régression humaine par le vice, mais aussi par les vociférations que peuvent produire Walter et Hildy. Régression que l’on retrouve dans Intolérable Cruauté, du fait des exactions de Marylin, qui exploite sa beauté à des fins perfides… La puérilité du jeu introduirait le spectateur dans une mécanique réglée, parfois erronée, une prévision de la réconciliation s’ancrant dans la vérité de chaque situation énoncée.
Chez Hawks, les personnages masculins et féminins ont des rôles inversés. Le pouvoir ne se trouve pas exclusivement chez le mâle. Bien au contraire. Dans la comédie du remariage, les hommes ressentent ce changement de mœurs. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à humilier les femmes qui ont du caractère et qui tentent de le manifester. Eux-mêmes régressent par un tel agissement, et laissent par conséquent le champ libre à la femme pour qu’elle s’épanouisse. Ce renversement des pôles de forces se traduit généralement par un regain de santé, et une écoute de la femme. Ainsi qu’une certaine soumission, afin de combler l’autre. Intolérable Cruauté le montre bien. C’est le cas aussi dans It happened one night, quand Clark Gable nourrit Ellie, et repasse ses vêtements. Comme le dit Cavell dans A la recherche du bonheur, Hollywood et la comédie du remariage : «Clark Gable se conduit en parent. On ne sait plus si c’est le côté paternel ou maternel de sa personnalité qui prédomine. » Il semblerait véritablement que cela soit les deux. L’être vit et devient en étant un repère pour l’autre. Par son attitude, il crée un langage privé de séduction qui ravit la femme qu’il convoite. Un équilibre se crée dans la hiérarchisation des comportements, car il démantèle les limites, et absout les cadres prédéfinis par la société. Le personnage masculin parvient à montrer qu’il est capable de reproduire des gestes quotidiens, ou de s’engager et de faire confiance, et laisse un boulevard à la femme, déchargée des faits et gestes de tous les jours, pour devenir une autre, qui peut être comblée par un homme. Comme l’explique très bien Cavell, il s’agit d’une « quête de l’identité, l’acceptation de la finitude ». Dès lors, l’homme se consacre à la création d’un ensemble de signes que la jeune femme détecte et comprend comme une ouverture possible vers un autre Moi, vers une étape supplémentaire de sa vie. L’homme androgyne est un repère visuel considéré comme un seuil à l’émancipation féminine. L’homme, tel Hermès, est le messager. Adam et Eve ou l’évolution naturelle de la femme, qui se libère de sa camisole, du cliché de la femme soumise. Elle devient une autre, se convertit à l’autre, grâce à l’autre et pour l’autre. La sexualité et la rigidité qui étaient associées à ce thème sociologique important, la misogynie, accompagnaient une conception puritaine du sexe.
La consommation de ce dernier est annihilée par une soif de revanche de la condition de la femme. Elle assure un pouvoir mystique, lui permettant de s’octroyer un droit nécessaire et inné sur leur vie et sur leur prétendant. Ellie, dans New-York-Miami, a un charme enfantin ; Marylin, dans Intolérable Cruauté, est une femme fatale au charme dévastateur. Le mysticisme de leur charisme provient d’une contingence : la fuite et le courage de ce déracinement. L’homme a alors, face à lui, une personne au moins aussi courageuse que lui. Par cet acte, elle repousse les cadres patriarcaux de la société, et d’une féminité agonisante supplée par les images d’Épinal d’un mari au travail et de la femme au foyer. Dans His Gril Friday, c’est la femme, à voix basse, qui provoque l’homme. Dans Intolérable Cruauté, c’est le premier regard que lui jette Marylin quand elle sort la première fois du bureau de Miles. Elle reconnaît indirectement, et de façon très subtile, qu’elle a besoin de lui, sans véritablement y croire. Serait-ce une sorte de lapsus ? Dès lors, qui suit qui ? Walter, ou Miles, qui n’a pas compris le jeu de son ex-femme ou de sa prétendante ? Ou Hildy (ou Marylin) qui tente de ramener Walter (ou Miles) à elle, par la prévisibilité des réactions et actions de ce dernier ?
Dès lors, c’est la crainte, semble t-il, qui permet à la femme de s’affranchir d’une hiérarchie sociale oppressante et amincie de toute humanité. La femme, son affranchissement, est spontanée, brutal, mais aussi sporadique, car les comédies du remariage, du fait de leur année de production et de création, ne donnent que quelques exemples d’une femme nouvelle. Les femmes sont alors vues comme des menaces, des plantes venimeuses, pour la masculinité. Voici la raison pour laquelle les hommes les dénigrent. Ils peuvent aussi les trouver décevantes. Il est question d’une place qu’il est possible de perdre. Il est question d’être recadré ailleurs dans la société. Il est question de ne plus avoir ce monopole, cette homogénéité. La rudesse avec laquelle les hommes interpellent les femmes, et la façon dont ils essayent d’attaquer leur intégrité morale, rejoint une idée que Cavell réemploie souvent dans son livre : l’éducation. Une ouverture pour que les femmes viennent à eux, et qu’éclose une femme qui soit influencée par leur enseignement. Cela, on le retrouve dans les trois films proposés. Paradoxalement, leurs travaux de sape n’ont comme effet que d’endurcir la jeune femme déterminée. La trivialisation des humeurs masculines permet de promouvoir la force, ainsi que le fait que les femmes soient plus subtiles que les hommes. Dans les comédies du remariage, elles leurs sont supérieures parce qu’elles provoquent une révolution de mœurs voulue ou non : on doute qu’Ellie, dans It happened one night, le fasse délibérément. Elle le fait car elle est isolée, car elle étouffe sur le bateau de son père. Par contre, Hildy, dans His Girl Friday, est une révolutionnaire (au même titre qu’Amanda Bonner dans Adam’s Rib) ; et Marylin, dans Intolérable Cruauté, est une prédatrice. Les hommes perdent leur indépendance. Les femmes gagnent la leur. Cette pseudo dépendance de la femme par rapport à l’homme asseyait leur position de dominateur. Seulement, l’émergence du nouveau rôle féminin crée un nouvel équilibre et une dépendance renversée, tout en étant une source de bonheur inestimable. C’est l’homme qui devient dépendant de la femme, car le changement radical de posture et de position lui fait tourner le dos à tout ce qu’il avait accumulé de confort (social, économique et domestique) auparavant. Miles commence à se lasser de la victoire systématique, et à se morfondre dans l’opulence… Il devient davantage le produit aseptisé de la société dans laquelle il évolue. Les femmes apprennent à vivre, se maintiennent et progressent sans dépendre directement des hommes. Ce sont eux qui leur courent après. Une recherche virtuelle de la mère, sans doute.
Une autre comédie du remariage que Cavell n’a pas étudiée, est M. and Miss Smith d’Alfred Hitchcock. Après trois ans de bonheur sans nuage, David Smith apprend un jour que son mariage avec Anne n’est pas régulièrement validé. Il cache la nouvelle à sa femme qui l’apprend de son côté. Dès lors, celle-ci entend se faire prier, et oblige David à lui refaire la cour comme au début de leur relation. On y voit Anne Smith devenir complètement autonome : travailler pour subvenir à ses besoins, vivre sans son ex mari, de façon heureuse…
L’homme, dans les comédies du remariage, n’accepte pas de devenir le souvenir de lui-même, car la femme remplit le rôle tenu traditionnellement par l’homme, et n’accepte pas de se voir retirer ce qu’il croyait lui appartenir. Toutes les femmes représentent un exemple social de salubrité mentale dans un monde politiquement bancal, voire fou, comme ce peut être le cas dans His Girl Friday. Il existe ce même déséquilibre dans Intolérable Cruauté, car les Coen fondent leur critique avec beaucoup d’esprit. Dans le film de Hawks, Hildy représente fondamentalement un aspect important de l’univers hawksien : le bénévolat, le don de soi. Elle pose, comme le réalisateur de Scarface, la question du don et de la dette. Qu’est-ce que donner ? Qu’est ce que recevoir ? Earl sert de point symétrique pour Hildy, parce qu’Earl constitue la face perdue de Hildy. Quand Earl est repris, Walter retrouve son ex-femme, et envisage l’avenir avec elle. Quand Earl est en cavale, elle ne cesse de se disputer avec son ex-mari et accroît, semble t-il, la fascinante contradiction qui les lie.
His Girl Friday entame une petite démarcation par rapport aux codes de la comédie du remariage puisqu’il n’est pas question d’extérieurs, mais d’intérieurs claustrophobiques, tout au long du film. Intolérable Cruauté aussi. Seulement, l’intérieur est une remise à zéro, il introduit une nouvelle équité dans le couple, au contraire de la justice inique qui gouverne le film. Ils n’ont pas besoin de l’extérieur pour s’évader, l’intérieur les purifie. Ceci est également dû au rythme du film d’Hawks, le plus rapide au sein du corpus étudié par Cavell. Cette restriction sociale et physique, du fait qu’eux deux ne sortent pas, et qu’ils évoluent dans des espaces souvent contigus, et puisque nombre de personnes habitent le plan, montre que l’amour peur renaître grâce à la contrainte. Ils doivent alors se fier à leur jugement et à leur instinct, et non plus à leur clairvoyance, comme cela peut être le cas dans toutes les autres comédies du remariage. Là encore, Intolérable Cruauté reprend cette idée. De plus, l’extérieur inutile dans His Girl friday, Hildy aspirant l’attention sur elle, permet à la femme de prendre la place, ou de cohabiter avec l’homme, sur la place que ce dernier a laissée vacante. D’ailleurs, Hildy doit partir pour Albany avec son prétendant, et avoir une vie qu’elle qualifie de « normale » dans le film. Dès lors, l’ailleurs de la ville représente symboliquement la victoire du personnage que joue Ralph Bellamy. Il est donc impossible de les faire évoluer dans un autre lieu que celui d’un journal, qui est leur monde à eux. Pour que leurs vies se réassemblent, qu’elles aient un minimum de signification, il leur faut de l’action. L’action cadrée se situant dans un lieu clos, afin qu’elle module ou varie à l’infini.
Hildy et Marylin, l’héroïne du film de Joel Coen, sont joueuses. Ellie aussi, puisqu’elle décide de tout quitter. Cela en fait des personnages féminins déroutants, à l’affût du sensationnel, de l’adrénaline, pour prouver leur solidité mentale. La poursuite de Hildy sur Dooley, le gardien de prison, est, à ce titre, exemplaire. Comme un homme, elle lui hurle de s’arrêter. Puis, le flanque par terre en lui sautant dessus, tout en courant avec ses talons. C’est un exploit, une performance. Marylin combat les hommes en les collectionnant, et Ellie en les hypnotisant avec sa candeur. Les deux femmes sont des professionnelles, des show girls. Ellie aussi peut l’être. Un exemple flagrant : quand elle montre sa jambe pour faire de l’auto-stop.
Elles délaissent cette contrainte au profit de leur évolution, et de leur épanouissement professionnel et intellectuel respectifs. Une plénitude sans réserve, comme éclosion d’une femme résolument moderne et sans tabous, autonome et déterminée. Comme l’a signalé Cavell, la comédie du remariage fait la part belle à la femme, en référence à la Comédie Ancienne. Le côté dominant-dominé trouve une balance naturelle dans le fait que le but de ces films réside dans la re-formation des couples brisés en rendant l’autre jaloux. Dès lors, les films se cantonnent à l’égalité, puisqu’ils mettent au même niveau homme et femme, en faisant stagner l’un, et évoluer l’autre.
It happened one night a un profil différent : Ellie est sans emploi. Ce qu’elle vit, c’est l’ingérence, au quotidien, de son père dans sa vie amoureuse. Il n’hésite pas à annuler le mariage de sa fille avec un homme qu’il n’apprécie guère. Le film repose sur une structure ternaire, trois jours et trois nuits, quand Peter et Ellie sont ensemble. Leur histoire se déroule la plupart du temps de nuit. Leur vie de noctambule facilitant l’intimité, le privé de leur relation qui va naître entre les deux, comme lors de la première scène avec les murs de Jéricho metaphorisés par une couverture blanche. Cette couverture étant pour Cavell la métaphore de leur réserve, de la virginité et de la résistance. Une frontière. Cavell renchérit en expliquant que la couverture agit à la fois comme une censure sexuelle et une manifestation érotique, alors que le personnage féminin creuse le tissu, quand elle s’habille du pyjama de Peter Warne. Le mur de Jéricho devenant un rituel de leur évolution conjugale, qui s’anoblit par la fuite et la reconnaissance. On pourrait considérer que It happened one night dessine une trajectoire, puisqu’il s’agit d’un road-movie : New-York-Miami (qui est d’ailleurs le titre français du film). La ritualisation du mur de Jéricho permettant de tourner en dérision le mariage, et de jeter un voile sur la pression qui entoure la question du mariage. Au fur et à mesure que le film progresse, le couple joue de moins en moins au mari et à la femme, une familiarité intime se nouant entre eux. Les chamailleries entre les deux personnages, celle de la traversée de la rivière en atteste, font naître une affection sans faille entre eux. Cette même affection naît entre Marylin et Miles. Seulement, changements de mœurs obligent, la femme est plus libertine, et non plus exclusive pour un seul homme.
Tout comme dans le film avec George Clooney, cabotin à souhait, la satire de la société américaine est un thème important de la comédie du remariage. Un cynisme manipulateur sans faille, pointant du doigt les incohérences légales liées au système du contrat de mariage / divorce. L’union de Peter et Ellie peut, alors, se consommer de façon pour le moins burlesque, puisque nous entendons la trompette à la fin du film, ce dernier montrant enfin le plan que nous attendons depuis le début du film : la couverture tombée, le mur de Jéricho effondré. Cette présence de la frontière, de la séparation, trouverait un clin d’œil explicite dans Intolérable Cruauté, avec la vitre géante qui sépare Miles et Marylin quand cette dernière quitte, pour la première fois, le bureau de l’avocat. Certes, Miles ne la brisera pas explicitement, mais le chemin de croix qu’entreprend Miles ressemble à bien des égards à celui de Peter dans It happened one Night.
Dans His Girl Friday et It happened one night, les coups de sang et les querelles sont essentielles selon Cavell. Ce sont des coups que se rendent les protagonistes, ainsi qu’une résistance à l’autre. Aussi bien intellectuelle, spirituelle que physique. Dans Intolérable Cruauté, les coups sont portés par Marylin et Miles dans l’échec des plans de ces deux derniers : l’une pour plumer ses ex, l’autre qui défend les ex en question mais qui tombe amoureux de la mante religieuse. Ce débordement caractérisé permet d’incrémenter les films dans une certaine euphorie, à la limite de l’implosion, au sein d’un cadre toujours luxueux ou d’origine bourgeoise. It happened one night est aussi une régression sociale pour Ellie : de fille à papa, elle devient une femme avec un budget à gérer. Par cette conversion, elle apprend à se familiariser avec le train de vie de Peter. Lorsque Ellie mange malgré elle la carotte que lui a proposée Peter, elle démontre qu’elle est prête à faire des efforts pour que cette relation fonctionne. Cette régression se veut, après coup, positive pour les trois films. L’égalité, l’équilibre est enfin trouvé. C’est pour cela que les comédies du remariage sont ambivalentes. Telles deux champs de forces qui se chevauchent, qui se percutent car les deux partenaires, comme l’entend Cavell, font alterner « les charges positives ou négatives ». Donc, quand Peter rend son roman à son rédacteur en chef, il se le rend à lui-même. Il se convainc alors qu’il peut épouser Ellie. Massey, dans Intolérable Cruauté, reproduit le même geste symbolique et métaphorique avec le « contrat Massey » qu’il propose à Marylin Rexroth. Un contrat qui ne promeut que les sentiments pour s’éviter, paraît-il, des problèmes privés. L’amour triomphe des épreuves, y compris celles de la vénalité, de l’intéressement, des tentatives de meurtres et des trahisons.
Plus les personnages vivent ensemble, plus ils se découvrent. Quand Ellie montre sa jambe pour faire du stop, Peter esquisse une réaction surprise et intéressée. Le corps d’Ellie, jusqu’alors objet fantasmé, devient, pour une fois, plus concret, plus visible. Cet épisode lui permet de joindre son imagination à la réalité explicite du monde. L’affirmation, jusque-là allusive, au corps de la jeune bourgeoise, se transforme en une vision personnelle et émue pour Peter. Le fétichisme et la frustration qui s’en suivait se trouvent évacués dans un instant de quasi transe. Il évacue sa frustration par un voyeurisme qui lui permet de désacraliser le corps de Claudette Colbert. L’existence de l’autre ne se manifeste plus de façon inconsciente mais consciente, comme hypnotisé par la beauté de son acolyte. Il en va de même pour Miles, quand il voit partir Marylin de son bureau, et qu’il l’invite à dîner alors qu’il n’en a pas le droit.
On pourrait aussi considérer que It Happened one night est une comédie romanesque, et His girl Friday une comédie satirique. Intolérable Cruauté semblerait, lui, relever des deux genres, dans sa satire du mariage, et dans le déploiement, l’engrenage et les manigances que les deux personnages mettent en place pour attirer l’autre dans leurs filets. Comme dans toutes les comédies du remariage, la quête de la vérité passe par l’aventure et l’exagération. L’un a besoin de voir comment se comporte l’autre face à des situations extrêmes. Chacun recherche, par-là, la sécurité que l’autre doit être capable d’apporter à la personne qui l’aime. Ils ont besoin mutuellement de s’impressionner pour gagner leurs faveurs, pour trouver en l’autre ce qu’ils n’ont pas. Le mariage est remplacé par un autre mariage. Une valse à plusieurs temps dans laquelle les mariages se substituent à eux-mêmes, de façon singulière et inutile. Les frères Coen ont bâti une comédie grinçante et réussie. Cette réussite tient aussi de l’ingéniosité du choix des acteurs « perfidement » choisi : Georges Clooney pour son image de séducteur, tiré à quatre épingles avec une manie auto-caricaturale efficace, ainsi que pour ses dents blanches, et Catherine Zeta-Jones, vénéneuse, aux yeux chapardeurs et félins, à l’allure de marbre et au hiératisme renversant. George Clooney aussi subtil que cartoonesque. Caustique, misogyne, misanthrope et retors. Tout aussi subtile et faussement lisse, Catherine Zeta-Jones soupire, pleurniche, allume, provoque et manipule avec délectation… Ils sont entourés de personnages secondaires très typés, voire caricaturaux (tout comme les personnages principaux parfois), comme le très sensible second de Miles, ou le tueur qui prend son inhalateur à la place de son revolver. Ils leur servent de faire-valoir. Cependant, l’ensemble du film ainsi que ses ancêtres de la comédie classique, sont jubilatoires.
Cette jubilation emporte tous les films. Intolérable Cruauté, mais tolérable immaturité. Le très amusant générique du début se déroule au milieu de petits angelots perçant de leurs flèches les cœurs des couples. Pourtant, dans ce film, les femmes ne croient pas à l’amour mais à l’argent, qui leur donnera indépendance et liberté, comme le dit Marylin. L’argent fait-il le bonheur ? Sarah, dans sa villa aux quarante-six pièces, crève de solitude… et d’un ulcère à l’estomac. Elle ne pense qu’à de possible(s) futur-ex mari. Sa solitude se perçoit dans une plongée verticale l’écrasant tout entière, lorsque Marylin lui rend visite, et dans l’écho du vide de sa demeure. Le sursis, comme l’appelle Cavell, se retrouve dans l’évasion et la récréation. On pourrait joindre à cette idée de sursis l’idée de latence, d’entre-deux, exprimée plus haut. Les personnages ont besoin de gratuité dans leurs actes pour se retrouver. Les trois films enchaînent les situations rocambolesques, tordants et scènes d’anthologie liées à une légère dégradation de la politesse du langage et de la gestuelle : dans Intolérable Cruauté, « Rex, Sit ! » proféré par l’assistant de Miles ; la tape sur les fesses de Clark Gable sur Claude Colbert quand il la porte sur ses épaules et qu’il la punit parce qu’elle ne sait pas à quoi ressemble une position à califourchon…. Un joyeux grain de folie s’empare des personnages et des films pour quelques scènes (lorsque Marylin joue la femme pleurant d’être trompée, habillée en rose, pour exprimer une certaine candeur) ou de jouissifs bouquets finaux.
Intolérable Cruauté apparaîtrait bel et bien comme une comédie du remariage, du fait de l’héritage culturel et esthétique que représentent les comédies des années trente, et la théorisation de ces comédies par Stanley Cavell. Le romanesque de ces films, cette volonté de raconter un conte de fées à l’ancienne dans la contemporanéité de la société, cet anachronisme, ont pour but d’oxygéner le public et de le transporter dans des contrées romantiques, comiques, douces-amères, faites de férocité, d’intolérance, de burlesque souvent, d’intransigeance, de mesquinerie parfois, de brutalité et de sévérité formatrice qui témoignent de toute la passion charnelle et spirituelle emmagasinée, refoulée de l’homme envers la femme. Cependant, elle peut se révéler inhumaine parfois, voire sadique. Surtout dans l’oeuvre des frères Coen. Les comédies du remariage offrent un espace hors du temps, presque hors de la réalité. Comme pour toute œuvre romanesque, certains s’extasieront, d’autres rêveront, certains réfléchiront et d’autres compareront l’histoire à la leur, pour progresser. D’autres s’évaderont. Cette écriture est nécessaire aux spectateurs qui ont besoin, inéluctablement, de vivre d’autres histoires pour évoluer sur leurs propres conditions. Les personnages s’épuisent par eux-mêmes. Après le vide qu’ils s’infligent, indépendamment de leurs déterminations particulières, la renaissance par la reconnaissance s’opère. La ré-union devient possible, car ils se sont consommés et consumés dans un affrontement, dans un effort psychologique intenses et vertigineux. Ce choc frontal serait une métaphore implicite de l’acte sexuel, qui distinguerait les personnages et leur position dans le film : dominant/dominé. La comédie du remariage est absolution de l’être par un mouvement et une détermination centripète. Du point de vue des personnages ou des spectateurs, ce sont des œuvres sérieuses, sombres, vaudevillesques et loufoques (grâce à la façon de jouer de George Clooney qui tend vers le mime) qui permettent un dépouillement, un épuisement drastiquement ontologique et psychanalytique.