Interview de Sean Price Williams, réalisateur de « The Sweet East »

Article écrit par

« …thinking about France, all the time… »

Interview réalisée avec l’aide de Jessy Trocherie. 

Ses plus vieilles expériences « as a cinematographer », c’est à 23 ans et à Paris que Sean Price Williams les connaît. La première fois que ce chef-opérateur, célébré dans la profession, est venu en France, en 2000, son avion a failli se crasher, provoquant chez lui une angoisse du retour qui l’a poussé à rester trois mois plutôt que deux semaines. Le tout jeune cinéaste ne le savait pas encore, mais c’était le début d’une relation profonde et bohème avec notre pays et ses artistes : Il se liera d’amitié avec des gens comme Jean-Manuel Fernandez, Alexandre Marouani, Damien Bonnard et Alexis Manenti. Autour de 2010, une mauvaise expérience avec le producteur Paulo Branco le fait presque détester l’Hexagone. Une conversation avec un Parisien (il demande l’adresse d’un magasin de téléphonie, on lui répond avec une citation de Proust…) le fait dire « I’m never coming back to this fucking place again ». Et pourtant, il revient bel et bien, sautant de rencontre en rencontre selon ce qu’elles lui apportent humainement et artistiquement. Pas toutes les productions sur lesquelles il s’engage sont distribuées. Pas tous les objets sur lesquels il travaille sont des films narratifs (il a dirigé la photographie du clip Flash, réalisé par Mati Diop pour Bonnie Banane). Malgré cela, tous sont de véritables terrains de jeu pour le cinéaste originaire de Delaware, et tous contiennent des trouvailles qui, un jour ou l’autre, pourraient très bien ressortir dans sa carrière naissante de réalisateur… Il Était Une Fois Le Cinéma s’est entretenu avec lui au sujet de son premier long-métrage de fiction, de ses influences françaises, et de sa patte visuelle si immédiatement captivante.

Sean Price Williams : Je fais de mon mieux. (rires) J’ai toujours l’impression que je ne sais pas faire en sorte à ce que les films ressemblent à de vrais films, ils ressemblent juste aux foutoirs que je peux en tirer.

Peut-être que c’est une bonne chose. Les films sur lesquels vous travaillez ont un look très unique. On a regardé Queen of Earth. On aime beaucoup cette qualité : Ce n’est pas seulement que c’est tourné sur pellicule, c’est que vous y amenez une texture qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le cinéma moderne.

Merci. Sur celui-là, je me concentrais vraiment sur l’atmosphère, et c’est quelque chose qui, je pense, fait souvent défaut aux nouveaux films, on ne ressent pas vraiment la température de l’air, on ne ressent pas l’ambiance de la lumière… Les choses sont très belles, éclairées comme il faut, et grandes, mais on a pas cette sensation d’être là. C’est pour ça que j’aime regarder des vieux films d’horreur, on ressent vraiment l’atmosphère.

Je pense que c’est une approche très sensorielle de ce procédé. Je l’aime beaucoup. Ça nous a fait penser à Sergio Leone. Je ne l’ai pas noté dans mes questions, mais comment est-on censés prendre l’utilisation de la composition d’Ennio Morricone pour le film Il était une fois la Révolution dans le vôtre ?

C’est intéressant, parce que Tonino Delli Colli faisait la photo de ses films [ceux de Leone], et il faisait celle des films de Pasolini en même temps. Et les films de Pasolini faisaient très amateur, parfois. Je viens tout juste de commencer à vraiment embrasser ça, le comprendre, et l’aimer, de manière constructive. Je pense que Pasolini est sur-expliqué par les critiques, vous savez, la politique, l’homosexualité, le catholicisme… Mais le processus créatif est en fait si rafraichissant parce qu’il a l’air amateur, et c’est génial. Il avait un super chef-op qui rendait volontairement amateur.

Cette chanson, cette piste est venue très tard. Cette séquence n’avait pas de musique, quand on la montait dans mon film. Je ne sais pas pourquoi. On se demandait « Pourquoi c’est muet, ici ? », et quand on a fait le moment avec les jumelles, ça n’était pas drôle, ça ne marchait pas. Et j’écoutais mon iPod, comme toujours, et cette chanson est venue. C’est une interprétation par John Zorn de Morricone, ce n’est pas l’original. Zorn est un de mes héros, et Morricone aussi, évidemment… Bref, cette chanson – J’avais vraiment l’impression de pouvoir voir la scène, dans le métro, et je suis rentré, et je l’ai mise, et ça correspondait parfaitement. On a enlevé aucune image, ça faisait exactement la bonne durée, et ça se terminait exactement quand le camion arrive. Je me suis dit « oh mon dieu… » Et je l’ai joué pour mon producteur et mon monteur. J’ai dit « Mais on aura jamais les droits pour cette musique. » Nos superviseurs musique ont fait du beau travail, et on a pu avoir la musique. Et pour moi, c’est une vraie scène-clé du film. C’est amusant parce que, quand on organise des séances-débats, les gens, les cinéphiles, sont très heureux de l’identifier.

C’était exactement ma réaction. Je souriais dans le cinéma, en me disant « oui ! »

C’est ce que je fais aussi à chaque fois que je l’entend. On a été très chanceux au niveau du ton. Le film peut aller dans beaucoup de directions différentes, passer par beaucoup de musiques. J’ai mis tellement de musiques que j’aime dans ce film et ça fonctionne bien, je pense.

On parlait de références italiennes, européennes. On sait que vous avez fait la photo de films en France, de courts-métrages, que ce soit Zanaar ou Le Discours d’Acceptation Glorieux de Nicolas Chauvin.

Je suis très fier de celui-là. On a fait un programme de courts, et on a projeté Zanaar, que je n’avais jamais vu avec des sous-titres. Je n’ai jamais su ce qu’ils disaient, quand on a tourné Zanaar, je n’avais aucune idée de ce qu’ils racontaient. C’était un mystère. (rires) Ensuite, on a projeté Nicolas Chauvin. Et je le regardais, et je n’arrivais pas à croire que j’avais fait la photo. C’est techniquement très bien mis en images. À chaque fois que je viens en France, j’ai une équipe différente, avec laquelle je travaille, et j’avais une super équipe sur ça. Et le réalisateur est un mec brillant, Ben [Crotty]. J’aime travailler ici. Il y a ce film, Thirst Street [C’est qui cette fille ?, titre français], de Nathan Silver, avec Damien Bonnard, que j’aime beaucoup. Je pense que j’ai fait du bon travail.

On a remarqué que vous avez travaillé avec Damien Bonnard sur Thirst Street et sur Zanaar, et avec Alexis Manenti sur Nicolas Chauvin, et, à nouveau, sur Zanaar. Comment sont ces relations professionnelles ?

J’ai rencontré Damien sur [Thirst Street], et on est devenus amis. On a presque le même âge, on a presque la même… En fait, il est plus responsable que moi. Il est propriétaire, il a du succès dans sa carrière, il est très talentueux, et il s’en sert de façon constructive. Moi, je suis plus maniaque, collectionneur, je bois pas mal, et j’achète des trucs pour les gens. Mais à ce moment-là, je pense qu’on était plus au même endroit de notre vie. Je l’aime beaucoup. Pareil avec Alexis. Alexis parle parfaitement anglais. C’est le truc : Ils ont eu des enfances très différentes. Alexis est un garçon très chic.

Quand on a regardé Nicolas Chauvin – peut-être que c’est à cause des costumes d’époques –, on a trouvé que ça avait beaucoup en commun avec The Sweet East. C’est à la fois du mythologisme et du pathologisme d’une nation. On creuse dans un pays et on trouve ses traits les plus toxiques. Dans Nicolas Chauvin, le personnage est antisémite, et raciste.

Et nous, ce serait Lawrence. Nick [Pinkerton], le scénariste, est un vrai expert en histoire, et il adore l’Amérique – moi aussi. Beaucoup de Lawrence vient de Nick. Pas les mauvais traits, juste les traits malins. Nick a un super sens de l’humour, et Lawrence, dans notre film, n’a aucun sens de l’humour. Mais le personnage est définitivement similaire à Nicolas Chauvin. C’est aussi ce mythe qu’il a un peu créé pour lui-même, pour se sentir fort. Je n’avais pas fait cette connexion.

Ça nous a sauté au visage quand on l’a regardé. On s’est dit « c’est ça ! » Mais, bien sûr, ce sont des pays très différents, des contextes très différents.

Oui, mais, vous savez, ce sont deux pays révolutionnaires, et j’adore la relation entre nos histoires. Et je pense que la raison pour laquelle l’Angleterre est un… Tas de merde, en ce moment, c’est parce qu’ils n’ont jamais coupé ce cordon. Ils n’ont pas ça dans leur ADN. Ça n’est pas ma place de critiquer les autres pays, car le mien est dans un état particulièrement critique, mais… Vous savez, on expérimente. Ils n’expérimentent pas. Le Brexit, c’est la chose la plus expérimentale qu’ils aient faite, et je pense que c’était une mauvaise idée (rires).

Vous avez travaillé l’élément fantastique dans Zanaar. Est-ce que c’est aussi quelque chose que vous avez amené dans le court-métrage Pharmakon, de Mélanie Matranga ?

Je n’ai pas compris ce dont ce film parlait, mais Mélanie – Elle n’arrêtait pas de dire qu’elle n’était pas une cinéaste, mais elle en est bien une. Je sentais qu’elle l’était. Donc j’essayais juste de faire exactement ce qu’elle me disait de faire. Je ne sais pas. Quand on m’amène quelque part pour faire quelque chose, je me dis « Qu’est-ce que je peux faire que personne d’autre ne ferait ? » Je dois trouver quelque chose, sinon pourquoi je serais là ? Je me demande si j’ai vraiment contribué ici parce que ses idées étaient très développées, et déjà surprenantes. Mais c’est ça que j’aime dans le fait de travailler avec elle.

Bastien Bouillon joue dans Pharmakon. C’est quelque chose qu’on voulait aborder : Est-ce que vous vous voyez continuer de travailler en France ?

J’espère bien. À la fois Nadia [Tereszkiewicz] de Zanaar et Bastien ont gagné, la même année, le César du meilleur espoir. Je me suis dit « Okay. Cool, je travaille avec les bonnes personnes. » Et je viens de faire un film avec Virgil Vernier, il y a deux-trois semaines. On a tourné à Los Angeles. Et je pense que Virgil est un cinéaste très intéressant. Je suis enthousiaste d’enfin travailler avec lui. Donc ça continue. Travailler avec des français.

Il y a aussi Souheila Yacoub, qui était dans Entre les vagues.

C’est un joli titre. Entre les vagues. Je déteste le titre anglais. Je pense que c’est stupide.

Qu’est-ce que c’est ?

« The Braves ». Ça n’a aucun sens. J’ai écrit un très long email à la production, et tout le monde disait, vous devez changer ce titre, ça n’a aucun rapport. Le titre français est chouette, c’est féminin…

Et il y a le sous-texte de la Nouvelle Vague. Ce film n’est pas Godardien, bien sûr, mais je pense que c’est très français, et [comme, par exemple, les films de Truffaut], ça parle d’entrer à l’âge adulte.

J’avais décidé d’utiliser des Digital Bolex, qui sont des caméra étranges, des gadgets, même. Il y avait une boutique qui en vendait deux, ici, et elles fonctionnaient très bien. Et je pense que c’est un film qui a un look très cool, mais c’était pas facile de travailler avec ces caméras. Mais on l’a fait. C’est un film qui transmet quelque chose d’inhabituel, et je pense qu’elle est très cool, aussi – Anaïs Volpé [la réalisatrice]. Je l’aime beaucoup, et Souheila et Déborah aussi.

On parle beaucoup d’acteurs. En tant que réalisateur, qu’est-ce que vous avez pris de vos précédentes expériences avec des cinéastes et des acteurs ? Comment avez-vous dirigé vos acteurs ?

Ce n’était pas si différent. Je dirigeais à travers la caméra. Je n’avais juste pas à m’inquiéter d’un réalisateur qui s’énerverait parce que je parle trop aux acteurs.

Donc c’est quelque chose que vous faisiez déjà ?

J’avais déjà un peu une relation créative, à cause de la façon dont je tourne, avec la caméra, avec les acteurs, et tout. La manière dont je m’approche, dont on devient amis. Donc, c’est un peu comme ça, sauf que je n’avais pas à dire « C’était correct ? C’était comment ? Bien ? », j’ai pu sauter cette petite étape. Ça n’était pas si différent. J’étais très à l’aise sur le plateau. Parfois, les acteurs avaient des questions, et je devais y répondre, mais ce n’était pas si difficile. J’ai pris des acteurs avec qui je savais qu’on allait s’entendre. Pour le rôle qu’avait Simon Rex, j’avais cette idée de prendre Bradley Cooper, ou quelqu’un comme ça. Une grosse star. Mais je savais que je n’étais pas prêt pour ça. Ce n’est pas pour dire qu’il a de l’égo, c’était juste, un trop grand défi pour moi. J’ai fait un film d’enfant, avec les petites roues sur le côté. Je ne me suis pas encore senti défié en tant que réalisateur. Je ne devrais pas admettre ça. (rires)

The Sweet East sort aujourd’hui en salles. Voir notre critique iciLe Discours D’Acceptation Glorieux de Nicolas Chauvin est disponible à la vente et à la location sur la plateforme Universciné.

Année :

Pays :


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi