Interview de Mário Barroso

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L’ ordre moral est le deuxième film en tant que réalisateur du grand directeur de la photo Mario Bárroso. C’est avec un enthousiasme communicatif qu’il nous présente son œuvre.

La maison des Da Cunha peut être considérée comme une scène de théâtre, au sens propre comme au figuré. L’utilisation du décor occupe une place très importante dans votre mise en scène. Comment avez-vous abordé cet aspect du tournage ?

Le théâtre était présent dans le scénario depuis le début. L’idée était de raconter cette histoire comme une espèce de masque qui va tomber progressivement. L’idée vient également du personnage principal, Maria Adélaïde, qui a existé réellement. Elle avait parmi ses hobbies le théâtre. Son mari était également un écrivain, pas un grand écrivain  mais il disposait d’un talent certain qui lui a permis d’être reconnu à son époque. Il a écrit différentes pièces dans leur maison dans laquelle ils avaient construit un véritable théâtre. J’ai voulu tourner dans ces lieux, mais ils étaient fermés au public, j’ai alors cherché des petits théâtres dans Lisbonne qui pourraient y ressembler. Mais je n’ai rien trouvé de satisfaisant. Nous n’avions pas les moyens financiers de recréer un tel décor. Par bonheur, à la dernière minute Paulo Branco a obtenu l’autorisation de tourner dans la maison des Da Cunha. Le théâtre n’était plus là, mais il restait le rideau rouge que l’on ouvre au début du film.  Je tiens également à souligner que la décoratrice a été impeccable, car si la maison présentait un style d’époque (début du dix-neuvième siècle) , il fallait réussir à lui redonner vie. Et pour le petit théâtre, je me suis inspiré de mon enfance. Avec mes cousins et cousines on faisait beaucoup de représentations de poèmes, de pièces, de chansons pour notre famille. J’ai pensé pouvoir recréer cette ambiance.

Dans cette façon d’entremêler le théâtre et la vie, votre approche fait penser à celle d’Ingmar Bergman, Fanny et Alexandre, notamment. Que pensez-vous de cette comparaison ?

Je suis ravi que vous m’en parliez. Quand on me demande les cinéastes que j’adore et auxquels je pense, peut être pas pendant que travaille sur le film, mais avant, j’ai une grande pudeur de parler de ces cinéastes. Mais puis ce que c’est vous qui faîtes cette comparaison, je peux vous dire que oui. C’est vrai que Bergman est l’un de mes réalisateurs préférés, que je suis particulièrement fasciné par Fanny et Alexandre. Il y a évidemment ce rapport avec le théâtre, mais il y a également une chose à laquelle je pense toujours, même si cela n’a pas un rapport direct avec mon film, c’est l’ambiance familiale dans  laquelle baigne le film de Bergman. Je me souviens surtout du début où il y a une fête familiale que je trouvais merveilleusement filmée.

Comme directeur de la photo vous avez travaillé à plusieurs reprises avec des réalisateurs comme Manuel de Oliveira et Raoul Ruiz, qu’avez-vous appris de leur approche de la mise en scène ?

J’ai évidemment beaucoup appris d’eux. De Manuel de Oliveira, pour parler de lui, ce n’est pas tant les films en particulier, mais en travaillant avec lui je me suis rendu compte de l’imagination de cet homme. Un imagination qu’on ne perçoit pas forcement en tant que spectateur. Il y a des choses superbes dont personne ne se doute de la façon dont cela a été réalisée. On croit que c’est arrivé comme ça. Je pourrais vous parler d’un grand nombre de ces moments de cinéma. Je pense notamment à un film qui s’appelle Le jour du désespoir. Sur ce film je suis le directeur de la photo, le cadreur et le comédien principal. Manuel avait une idée depuis des mois. Il voulait commencer le film sur les roues d’un carrosse funéraire. Il me téléphone et me dit qu’il faut tourner cela sans mouvement de caméra, sans recadrage. Je me suis dit comment peut-on faire un tel plan qui dure entre huit et dix minutes ? Avec le matériel dont nous disposions, en tournant sur un chemin de terre, c’était impossible. Je n’ai pas trouvé la solution. Mais quand j’arrive à Lisbonne, il me dit Mário on va tourner la scène. Je suis étonné. Il avait trouvé une grande structure en fer qui tenait le carrosse et contenait un grand miroir qui reflétait la roue de ce carrosse. La caméra était placée dans le carrosse et filmait le reflet du miroir. Cet exemple illustre les qualités d’un cinéaste comme Manuel de Oliveira. Une volonté d’aller jusqu’au bout de ses idées. Un désir d’image. Il n’y a pas de problème technique qui puisse entraver ce désir, car la mise en scène peut tout permettre quand on fait travailler son imagination. Quand on envie d’une image, on a déjà la moitié du film gagnée. Pour L’ordre moral, quand j’ai commencé l’écriture avec Carlos Saboga, j’avais une certaine volonté d’image. Cette idée de plan fixe qui me rappelait le théâtre. Chaque fois que je sentais qu’un plan fixe  pouvait créer de l’émotion, évidemment pas systématiquement, je l’utilisais. La deuxième idée qui a guidé mon projet c’était la volonté de travailler avec Maria de Medeiros. Mon désir depuis l’écriture était de lui confier ce rôle, elle avait l’âge, elle avait le talent, le charme, une photogénie intemporelle..

Dans le récit de cette libération , vous avez choisi de ne pas raconter toutes les étapes, tous les évènements qui se sont déroulés sur une longue période. Quelles sont les motivations qui vous ont conduit à retenir certains moments plus d’autres ?

Je me suis inspiré de la vie de ce beau personnage, mas il ne s’agit aucunement d’un biopic. je pars dans une fiction. Il était une fois une femme riche qui fugua avec avec son chauffeur, plus jeune d’une vingtaine d’années. Elle et poursuivie par son mari et internée dans un hôpital psychiatrique. Tout cela est vrai. Après tous les personnages secondaires sont inventés, sauf l’aliéniste. En ce qui concerne la relation entre Maria Adélaide et son chauffeur, je ne voulais pas tomber dans un récit romantique et romancé. Je ne voulais pas mettre en scène la première passion d’un jeune homme et la dernière histoire d’amour d’une femme moins jeune. Ce qui m’ intéressait c’était le portrait d’une femme libre. C’était une décision qu’elle n’avait pas prévue, sans forcement penser à toutes les conséquences de son acte. Par soucis de dramaturgie j’ai peut être un peu trop insisté sur l’histoire de la vente du journal. C’est vrai qu’il a été vendu, mais cela n’est pas forcement le fruit d’une conspiration. Cet homme et son fils n’avaient pas d’autres solutions.

Le récit adopte le point de vue de l’Héroïne, Maria Adelaide, comment avez-vous réussi à écrire un personnage féminin avec autant de richesses et de de nuances ?

Il faut faire ici référence au scénariste. Carlos Saboga est pour moi un grand scénariste et un très grand dialoguiste. Je  lui  dois beaucoup pour ce film. C’est  grâce à Carlos qu’on a pu avoir ce beau personnage tel qu’il existe dans le film. Et évidemment grâce à Maria de Medeiros qui est formidable.

 

Mário Barosso est un homme captivant avec lequel j’aurais grand plaisir de m’entretenir de nouveau. Je tiens à remercier, Sophie Bataille, l’attachée de presse qui a permis cette rencontre.

 

Lire également la critique du film

 

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