Hommage à JLG

Article écrit par

Un hommage à Godard, signé Fabien Alloin

« Il faut être voyant, se faire voyant ». A 17 ans, sans quitter Charleville-Mézières, Rimbaud se fait oracle pour qu’arrive alors l’inconnu et qu’apparaisse l’invisible. Il faut voir avant même de vouloir montrer ; voir que ce qui existe n’existe pas si ce n’est dans le montage mental des images volées. Qu’est-ce que voyait Millet quand il peignait ces paysans s’arrêtant de travailler pour baisser la tête ? Qu’ont vu Van-Gogh, Gauguin, pour qu’enfin soit choisie la couleur ? Qu’a vu Jean Rouch dans ces enfants Maliens et Bruno Dumont en cette femme qui attend devant sa ferme sur la pointe des pieds ?  Qu’a vu Manet à son balcon, Herzog et Courbet au pied de cet arbre ? Qu’a vu Goya ? Plus encore que l’histoire qu’ils pouvaient raconter, il fallait que ce qu’ils aient vu vaille la peine d’être arraché au réel. Il y a l’amour, mais seulement après vient l’amour des histoires. L’adieu au Langage comme un au revoir au récit, tout comme Redon, Delacroix a peint des guerriers, des saints, des amants, des tigres et puis des fleurs. Être voyant c’est prendre au pied de la lettre la phrase des parents, « Arrête de raconter des histoires ».

C’était moins le spectacle qu’il offrait désormais que les choses qu’il mentionnait – arbres, pigeons, foudre, coins, cheminées – un tumulte de choses simples, ordinaires dont il parlait sur le même ton étouffé qu’on prendrait pour parler d’une sirène (1). Jean-Luc Godard a vu la blancheur des villes et leur transparence. Il en a montrées les marges et la périphérie comme deux ou trois choses qu’il avait vu d’elles : ses immeubles de béton, ses quartiers en éternelles constructions, ses terrains vagues. Il a vu des soldats et des drôles de gosses. Il a vu que juste une image ne suffisait pas mais que c’était déjà ça. Il a vu des livres et a toujours eu des histoires avec le bord de la mer. Il a vu la guerre de Bosnie, sa musique et le naufrage du Costa Concordia avant qu’il n’advienne. La caméra c’est l’écran et filmer c’est déjà voir. Ici et ailleurs, le passé n’est jamais mort. Est-il déjà passé ?

(1) Alan Moore, Jérusalem

 

Lien vidéo : https://vimeo.com/750635926

 

Réalisateur :


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Dersou Ouzala

Dersou Ouzala

Oeuvre de transition encensée pour son humanisme, « Dersou Ouzala » a pourtant dénoté d’une espèce d’aura négative eu égard à son mysticisme contemplatif amorçant un tournant de maturité vieillissante chez Kurosawa. Face aux nouveaux défis et enjeux écologiques planétaires, on peut désormais revoir cette ode panthéiste sous un jour nouveau.

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dans l’immédiat après-guerre, Yasujiro Ozu focalisa l’œilleton de sa caméra sur la chronique simple et désarmante des vicissitudes familiales en leur insufflant cependant un tour mélodramatique inattendu de sa part. Sans aller jusqu’à renier ces films mineurs dans sa production, le sensei amorça ce tournant transitoire non sans une certaine frustration. Découvertes…

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Le pénultième film d’Ozu pourrait bien être son testament cinématographique. Sa tonalité tragi-comique et ses couleurs d’un rouge mordoré anticipent la saison automnale à travers la fin de vie crépusculaire d’un patriarche et d’un pater familias, dans le même temps, selon le cycle d’une existence ramenée au pathos des choses les plus insignifiantes. En version restaurée par le distributeur Carlotta.

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Difficile de passer sous silence une œuvre aussi importante que « Il était un père » dans la filmographie d’Ozu malgré le didactisme de la forme. Tiraillé entre la rhétorique propagandiste de la hiérarchie militaire japonaise, la censure de l’armée d’occupation militaire du général Mac Arthur qui lui sont imposées par l’effort de guerre, Ozu réintroduit le fil rouge de la parentalité abordé dans « Un fils unique » (1936) avec le scepticisme foncier qui le caractérise.