Holy Motors

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Poème de cinéma, « Holy Motors » enchante l´oeil cinéphile et redonne foi en la folie créatrice.

Lorsqu’il est venu présenter Holy Motors au public de l’UGC des Halles à Paris, deux jours avant sa sortie en salles, Leos Carax n’eut que quelque mots : « Vous allez voir, c’est un film assez simple, il faut lui donner un peu de temps au début, mais après c’est assez évident ». Puis, quand même, il a ajouté avec un bon sens bien à lui : « Et puis si vous avez des questions à la fin de la projection, eh bien… il n’y aura personne pour y répondre ! ».

S’il lui a été impossible de rentrer dans le détail pour nous décrire son cinquième long métrage, ou bien nous faire la promesse qu’au générique de fin tout serait limpide, c’est peut-être parce que Holy Motors fait partie de ces œuvres qui échappent un peu à leurs créateurs, deviennent indépendantes, prêtes à prendre place dans une histoire du cinéma, de celles qui filent aussi directement vers chaque spectateur, droit au cœur. Les acteurs présents, Edith Scob, la jeune Jeanne Disson et Denis Lavant n’ont rien ajouté non plus, prédisant seulement un « voyage » dont Edith Scob sera le chauffeur, Charon bienveillant et employée inquiète.

Passage(rs)

Un dormeur, éveillé par des bruits. L’entrée dans un lieu, temple assimilé à un paquebot, par ses bruits de moteurs et de mouettes alentours, mais peut-être pas. Leos Carax est ce dormeur enfin de retour dans la salle de cinéma, nous plongeant face à nous-même avant que ne commence l’aventure. Cette première séquence, mine de rien, multiplie les lieux, les sons et les textures de plans avec plus d’acuité que certains films ne le font en 1h30. Face à tant de propositions formelles, pas de complexes, le film est bien l’évidence annoncée par son réalisateur, accompagnée par un monsieur Loyal aux mille visages.

Monsieur Oscar (Denis Lavant x 11 personnages !) et Céline, fidèle chauffeur d’une limousine aussi blanche que ses cheveux, s’apprêtent à parcourir Paris durant une journée ponctuée de rendez-vous d’un drôle de genre. À chaque arrêt c’est un nouveau personnage qui sort de la limousine, une nouvelle mise en situation, explorant un genre, une tonalité, un rythme de cinéma différent et tout cela à la fois. Le véhicule n’est plus un moyen de transport, un simple outil motorisé, mais il devient un temple, réenchanté par Carax comme coulisses et loges de la plus folle des représentations.

On ne sait pas vraiment en quoi consiste le travail de monsieur Oscar, on pressent qu’il est important, fortuné et sous les ordres d’une organisation tentaculaire. Chaque rendez-vous est l’occasion pour Denis Lavant d’embrasser de son talent la caméra, comme pour rattraper le temps, interpréter les personnages des mille films que Carax n’a pu que fantasmer durant ses années d’absence.

Celui-ci orchestre avec entrain (mettant d’ailleurs en forme cet élan dans une scène) la reconquête d’un univers fictionnel laissé en friches par d’autres cinéastes trop sages. Pour cela il revient aux origines, questionne les pas de course des chronophotographies de Marey, pour savoir si aujourd’hui, la magie est encore là, et pas seulement la technique.
En réplique, il filme un corps à corps parmi les plus sensuels, organique et animal qu’il nous ait été donné de voir, par la grâce de la motion capture. L’outil est lui-même si beau, les points lumineux des capteurs sur le corps des acteurs brillants dans le noir, qu’il en devient sujet de cinéma. La grâce de l’exécution des mouvements n’est-elle pas plus cinégénique que le résultat virtuel ?

Puis le cinéaste, se baladant dans un récit sans règles ni contraintes, retrouve monsieur Merde (rencontré dans Tokyo ! en 2008), par l’incroyable agitation de Denis Lavant dont le corps gesticulant semble influer seul sur les mouvements de caméra, impulsant aux plans leur dynamique, commandant au film une nouvelle direction, soudain plus nerveuse. Il s’amuse de la présence d’une des plus belles stars hollywoodiennes (Eva Mendes) dans la réunion de la belle et la bête, assis ensemble, sereins, la piéta et le christ en érection, sans gêne, sans que l’absurde ne l’emportent sur la poésie de la scène, Carax trouvant le juste équilibre, toujours.

Puis le polar, et la noirceur inquiétante d’une intrusion dans un hangar tenu par des asiatiques, où là encore, la mise en abyme de son propre jeu de pastiche permet au cinéaste d’insuffler un contrepoint comique, une délicieuse sensation de connivence entre le public, Lavant et Carax. Fil ténu jamais lâché, le film en son entier n’oublie pas de rire, désamorçant sa complexité narrative apparente par des indices de son propre mécanisme. Le temps d’une scène, à la faveur d’une pause dans un hôtel particulier, Carax nous offre un drame de chambre, théâtral, où une belle héroïne célèbre la mort de son oncle. Ce recueillement vient juste après que monsieur Oscar a assassiné un homme sur les Champs-Elysées. Il a tué, il peut bien mourir à son tour.

Acte(urs)

Le film n’est pas seulement une aventure dans la machine cinéma mais le récit assez évident d’une journée d’homme, une journée longue comme une vie. Malgré l’ampleur de sa structure narrative, on est frappé par l’évidence de sa familiarité. Le film est à la fois fou dans son ambition et pourtant si proche, riche mais limpide, comme l’égrenage sincère de moments, livrés afin que chaque spectateur y trouve son compte et célèbre le 7ème art en compagnie de son passage favori. En cela le film est modeste, frappe par son accessibilité et sa grande générosité.
En une apparition fantomatique de Michel Piccoli, on apprend qu’il existe des caméras, qui enregistrent supposément les performances de M. Oscar, comme contrôle, fixant le travail, enregistrant. Qui ordonne ces interprétations ? Les personnes concernées par ses rencontres qui souhaitent « revivre », comme le chante Gérard Manset dans la mélancolique conclusion ?

La sainteté des moteurs évoquée par le titre, ne serait littéralement que la limousine, la mécanique, l’impulsion. Soi-disant délaissées par l’homme (c’est elles qui le disent !), ces voitures transportent des comédiens mystérieux, eux-mêmes machines à fabriquer du rêve, du fantasme, et seraient à reconvoquer. N’oublions pas l’espace de liberté qu’offre le cinéma, semble dire Leos Carax, lui qui goûte à ce plaisir d’avoir refait un film, exutoire à l’absence, déclaration d’amour enfin achevée. Jouissance du récit, joie des corps malgré la mélancolie et la fatigue qui pointent parfois sous les pastiches de Denis Lavant, le film ne semble effrayé que de devoir s’achever. Plus l’issue est proche, plus les personnages évoquent les heures et minutes qui se restreignent, ce peu de temps qu’ils leur reste à passer ensemble, les condamnant bientôt à disparaître. Le réalisateur peine aussi à les quitter, n’en finit pas de les saluer et remercier avant qu’ils ne disparaissent du récit.

À la sortie de la salle, Denis Lavant était finalement là, remontant comme les spectateurs les escaliers vers la sortie, répondant, lui, le double de Carax, aux questions des spectateurs.

Titre original : Holy Motors

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Durée : 115 mn


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