Cette amitié, le cinéaste la place au centre d’un film travaillé par le quotidien bien plus que par le caractère exceptionnel du personnage de Jésus, pourtant ultra fixé par les Evangiles. Si le rabbin est bien de ceux qui déplacent les foules (sublime scène de l’arrivée au village dans le sillage des enfants qui courent pour l’accueillir), le film évacue son statut d’exception pour en faire un homme très attentif au temps présent. Ainsi des discours qu’il prononce mais qu’il ne veut pour rien au monde voir retranscrit, par défiance de la parole figée : il ira jusqu’à demander à Judas de détruire les parchemins d’un scribe opportun, faisant de lui un homme de main, autre transgression, et pas la moindre, d’un récit par ailleurs limpide. Histoire de Judas n’oublie pas les personnages secondaires, ni les scènes pivots de l’existence de Jésus : l’expulsion des marchands du temple ou le procès de la femme adultère sont eux-mêmes parmi les séquences clés du film, mais sans que, là encore, ces scènes ne fassent figure d’exception. A l’inverse, Ameur-Zaïmeche les fond dans un flot du quotidien, les plaçant sur un pied d’égalité avec les repas partagés avec les disciples ou l’achat par une femme d’un flacon de parfum.
C’est que, d’une vie largement représentée depuis des siècles, le réalisateur préfère tirer sa propre mythologie, laissant encore une fois, comme c’était le cas dans Dernier maquis (2008), son film osciller entre fiction et documentaire. Mais c’est du côté de la fiction qu’il se place toujours, refusant de ne pouvoir créer la sienne à partir d’un matériau qui semblait pourtant peu modulable. Tout respire dans Histoire de Judas, tout est cinéma, niché dans les décors de l’Algérie dont on n’a aucun mal à croire qu’ils sont ceux de la Galilée, ou dans les toges des comédiens (non professionnels pour la plupart) qui, tous, pourraient provenir de temps immémoriaux. Pas apolitique (Jésus fait ici plutôt figure d’archétype contestataire), le film embrasse moins une cause sociale qu’il ne déploye une formidable et sidérante puissance évocatrice, jusque dans un dernier plan renversant, qu’on attendait impatiemment sans voir comment Ameur-Zaïmeche pouvait bien s’en sortir. Il s’en sort, et magistralement, par une croyance infinie en son art, qu’il n’oublie jamais être celui de raconter des histoires.