Histoire de Judas

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Rabah Ameur-Zaïmeche réhabilite la figure de Judas dans un nouveau film apocryphe et subjuguant.

En 2012 déjà, dans Les Chants de Mandrin, son précédent long métrage, Rabah Ameur-Zaïmeche témoignait d’un désir de déplacer les enjeux contemporains dans un passé révolu, en l’occurence le XVIIIe siècle, dans les grands espaces de l’Aveyron. Histoire de Judas est à nouveau un “film d’époque”, dans une période encore bien plus lointaine – nous sommes ici au temps de Jésus -, sans qu’il n’ait jamais à souffrir d’avoir l’air de sortir du formol. Au contraire : si ce nouveau film cultive un goût évident pour la mise en scène et le déguisement notamment, ce n’est jamais dans un souci de reconstitution stricte. Ainsi, Histoire de Judas s’appréhende aussi bien comme évocation d’une ère que l’on n’a pas connue qu’il s’offre comme possible outil de compréhension du présent. Rabah Ameur-Zaïmeche y déroule la relation entre Jésus et Judas, après une longue période de jeûne du Christ et autour de l’épisode de l’Expulsion des marchands du temple, jusqu’à la crucifixion. Le récit serait fidèle aux écritures bibliques si ce n’était qu’au lieu de décrire Judas -que Rabah Ameur-Zaïmeche interprète (fort bien) lui-même – comme le traître antisémite, le cinéaste en fait l’ami le plus proche et le confident de Jésus, et ce jusqu’au bout.

Cette amitié, le cinéaste la place au centre d’un film travaillé par le quotidien bien plus que par le caractère exceptionnel du personnage de Jésus, pourtant ultra fixé par les Evangiles. Si le rabbin est bien de ceux qui déplacent les foules (sublime scène de l’arrivée au village dans le sillage des enfants qui courent pour l’accueillir), le film évacue son statut d’exception pour en faire un homme très attentif au temps présent. Ainsi des discours qu’il prononce mais qu’il ne veut pour rien au monde voir retranscrit, par défiance de la parole figée : il ira jusqu’à demander à Judas de détruire les parchemins d’un scribe opportun, faisant de lui un homme de main, autre transgression, et pas la moindre, d’un récit par ailleurs limpide. Histoire de Judas n’oublie pas les personnages secondaires, ni les scènes pivots de l’existence de Jésus : l’expulsion des marchands du temple ou le procès de la femme adultère sont eux-mêmes parmi les séquences clés du film, mais sans que, là encore, ces scènes ne fassent figure d’exception. A l’inverse, Ameur-Zaïmeche les fond dans un flot du quotidien, les plaçant sur un pied d’égalité avec les repas partagés avec les disciples ou l’achat par une femme d’un flacon de parfum.

 

C’est que, d’une vie largement représentée depuis des siècles, le réalisateur préfère tirer sa propre mythologie, laissant encore une fois, comme c’était le cas dans Dernier maquis (2008), son film osciller entre fiction et documentaire. Mais c’est du côté de la fiction qu’il se place toujours, refusant de ne pouvoir créer la sienne à partir d’un matériau qui semblait pourtant peu modulable. Tout respire dans Histoire de Judas, tout est cinéma, niché dans les décors de l’Algérie dont on n’a aucun mal à croire qu’ils sont ceux de la Galilée, ou dans les toges des comédiens (non professionnels pour la plupart) qui, tous, pourraient provenir de temps immémoriaux. Pas apolitique (Jésus fait ici plutôt figure d’archétype contestataire), le film embrasse moins une cause sociale qu’il ne déploye une formidable et sidérante puissance évocatrice, jusque dans un dernier plan renversant, qu’on attendait impatiemment sans voir comment Ameur-Zaïmeche pouvait bien s’en sortir. Il s’en sort, et magistralement, par une croyance infinie en son art, qu’il n’oublie jamais être celui de raconter des histoires.

Titre original : Histoire de Judas

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Durée : 99 mn


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